Les affrontements entre les Kurdes de Syrie et Daesh s’intensifient en Syrie près de la frontière turque et Ankara est sur le pied de guerre. Le gouvernement turc veut empêcher les Kurdes syriens de former un Etat en Syrie et stopper l’avancée de Daesh. Mais pour Lale Kemal, spécialiste des questions de défense, l’engagement d’Ankara dans le conflit syrien ne fera que menacer encore plus sa sécurité.
Le gouvernement turc a donné l’ordre à l’armée de se préparer à une intervention en Syrie pour neutraliser la menace du Parti syrien de l’union démocratique (PYD) et de Daesh. Le terrain gagné par les combattants kurdes syriens contre Daesh dans la région qui borde la frontière turque a intensifié les craintes d’Ankara quant à la perspective de la formation d’un Etat kurde en Syrie près de ses frontières.
Ankara a donné l’ordre à l’armée de se tenir prête
En outre, la semaine dernière, Daesh s’est emparé du territoire à l’ouest de la ville de Marea, où se trouvent deux postes-frontières entre la Turquie et la Syrie – Öncüpınar (Bab al-Salam) et Cilvegözü (Bab al-Hawa). Ankara voit à présent les avancées possibles de Daesh dans la zone située à l’ouest de Marea comme une menace à sa sécurité. Les affrontements qui se sont intensifiés entre le PYD, soutenu par les frappes aériennes américaines et canadiennes, et Daesh, en vue du contrôle de la région frontalière de la Turquie, ont poussé Ankara à ordonner à l’armée turque de se tenir prête pour une incursion.
L’armée demande une démarche diplomatique
Plusieurs quotidiens ont cependant révélé que l’armée turque aurait demandé au gouvernement d’entreprendre une démarche diplomatique avec plusieurs pays impliqués directement ou indirectement dans le conflit, et en premier lieu avec le régime du président syrien Assad afin de prévenir toute représaille, de Damas ou d’autres pays. Selon l’armée turque, une incursion en Syrie doit être ordonnée par le nouveau gouvernement qui doit être mis sur pied. Dans ce contexte, l’armée turque préfère ouvrir le feu depuis le territoire turc afin d’éviter une réaction internationale si le gouvernement actuel persiste à vouloir agir contre les deux groupes qu’il considère comme des organisations terroristes.
Ankara craint la formation d’un Etat kurde
Le Conseil national de sécurité (MGK) a discuté des scénarios possibles sur la réaction de la Turquie face au PYD et à Daesh. L’intention d’Ankara d’intervenir en Syrie soulève des questions sur ses réelles motivations : est-ce une volonté de rassembler des votes pro-AKP pour regagner une majorité et pouvoir former un gouvernement à parti unique à l’occasion d’élections anticipées si un gouvernement de coalition ne parvenait pas à être établi ou est-ce pour empêcher les Kurdes syriens d’établir leur administration autonome le long de la frontière turque ?
Le pouvoir politique de l’armée turque
L’intervention de l’armée turque compliquera non seulement le conflit syrien, en créant encore plus de risques à la sécurité d’Ankara, mais ne changera rien à l’issue souhaitée par la Turquie. Si, cependant, nous analysons la question de l’incursion syrienne d’un point de vue des relations civiles et militaires, nous constatons que si le chef des forces armées d’un autre pays de l’OTAN avait refusé d’obéir aux ordres du gouvernement, le commandant démissionnerait et un nouveau serait nommé. Que l’armée turque puisse ne pas répondre à une directive gouvernementale en dit beaucoup sur le pouvoir politique qu’elle possède encore aujourd’hui.
Daesh a intérêt à ne pas attaquer la Turquie
Mais à quel point le gouvernement turc et Daesh sont-ils proches ? Un analyste occidental m’a dit : «Notez que la Turquie est le seul pays de la région qui n’a pas été attaquée par Daesh et dont certains citoyens ont été décapités. C’est pour une bonne raison – Daesh sait que la Turquie est son lien au monde extérieur et même si le gouvernement dit ne pas soutenir Daesh, il n’a tout de même pas fermé ses postes-frontières clés quand ils ont été capturés par Daesh. L’accès aux frontières turques est si important que Daesh a récemment lancé une attaque sur Kobané en tentant d’y réétablir un lien». Mais si la Turquie devait attaquer Daesh, son industrie touristique serait mise à mal. «Si la Turquie attaquait Daesh, l’armée connaîtrait de lourdes pertes et paradoxalement, aiderait le régime syrien et le PYD indirectement. Mais si l’armée affrontait le régime et le PYD, toute la région pourrait exploser», selon ma source militaire occidentale. Le problème, c’est qu’Erdogan est en train de perdre progressivement le contrôle du dossier syrien et kurde. Ankara devrait se ranger à la position de l’armée et rester hors du bourbier syrien.
Zaman France
https://www.zamanfrance.fr/article/ankara-doit-rester-a-lecart-bourbier-syrien-16558.html