La bibliothèque nationale François Mitterrand à Paris a abrité le 6 décembre une demi-journée de débats sur « Oman, hier, aujourd’hui et demain ».
À l’opposé des autres monarchies du Golfe, le Sultanat d’Oman brille par sa discrétion. Une discrétion qui n’est pas synonyme d’inaction ou de profil pas. Loin s’en faut. Pour preuve son implication diplomatique, discrète mais efficace, dans le rapprochement des points de vue entre les différents protagonistes dans le dossier nucléaire iranien ou ses bons offices pour la stabilité au Yémen voisin. Cette diplomatie silencieuse à l’extérieur s’accompagne d’une culture de débat et de franchise à l’intérieur. Les problèmes et les défis majeurs qui se posent au pays sont débattus publiquement. C’est le cas dernièrement du débat approfondi engagé en toute sérénité et vérité par les deux chambres (Majlis al-Dawla et Majlis al-Shawra) ainsi que dans les médias sur les conséquences de la chute du pétrole sur l’économie nationale et les alternatives.
Ce modèle omanais qui combine avec pondération et mesure unité et diversité a été au centre des débats de la demi-journée consacrée, le 6 décembre, au thème : « Oman, hier, aujourd’hui et demain », à la bibliothèque nationale François Mitterrand à Paris. Plusieurs spécialistes et chercheurs français multidisciplinaires ont apporté leur éclairage sur les divers aspects de la culture omanaise. Philippe Ségéral et Sabrina Benjaballah ont fait un exposé sur le patrimoine immatériel du Sultanat : les langues sudarabiques modernes ; Vincent Charpentier et Guillaume Gernez ont présenté les chantiers archéologiques à Oman ; Maho Sebiane a dressé un tableau de la musique omanaise, continuité et perspectives ; quant à Olga Andriyanova, elle a fait le bilan des recherches historiques françaises sur l’histoire omanaise.
Les éléments constitutifs de la personnalité omanaise
La table ronde sur les défis et les enjeux de l’Oman contemporain, animée par François Nida, a été riche en analyses avec les éclairages de l’Ambassadeur d’Oman en France, Sheikh Humaid al-Maani et de Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS.
Al-Maani analyse « Al-Sabla » comme un mode de concertation propre à la société omanaise. Ce terme signifie la rencontre citoyenne pour traiter toutes les affaires aux niveaux local, régional et national dans un esprit de concertation.
L’Ambassadeur d’Oman a centré son intervention sur « l’expérience omanaise spécifique dans le vivre en commun et la diversité », dans un environnement régional instable. Pour lui, la justice, la raison et la morale forment le triptyque de la Constitution sur laquelle les nouvelles institutions de l’État ont été bâties. Cela s’inscrit dans le contexte de la citoyenneté, la justice et de la tolérance. Il démontre que la diversité dans la culture musulmane a perdurélongtemps en Sicile, en Andalousie et sur les côtes orientales de l’Afrique sous l’empire omanais (Voir les propos du président du Burundi Nkurunziza Pierre à l’ouverture de la conférence internationale, tenue à Bujumbura mi-décembre dernier, sur l’histoire des musulmans du Sultanat d’Oman dans la région des Grands Lacs d’Afrique).
Al-Maani souligne que le Coran contient des principes permettant, au musulman de s’ouvrir sur le monde et de suivre en même temps sa propre évolution historique. Cette dimension est perceptible dans les œuvres des réformateurs musulmans du XVIIIe et XIXe siècles, dont l’Omanais Noureddine al-Salimi. Quant à l’extrémisme actuel, il est non seulement inacceptable, mais il ne peut être qu’un échec de la gestion de la diversité.
Le vivre ensemble à Oman est pressenti comme un devoir national et la sortie de crise passe nécessairement par l’État civil emprunt d’ouverture et du pluralisme. Le Sultanat a donné l’exemple du développement durable en mettant en valeur la modernité et en prêtant une attention toute particulière aux jeunes durant les quatre décennies écoulées sous l’impulsion du Sultan Qabous. L’ambition est de s’acheminer vers un avenir meilleur avec la participation de toutes les composantes de la société, faisant fi des batailles idéologiques éculées et anachroniques.
Hormis « Al-Sabla » pour s’exprimer et débattre, la jeune génération devrait s’impliquer davantage, soit au sein des institutions étatiques telles le Majlis al-Shoura (le parlement), soit dans les cénacles et les forums de toute sorte. La création d’emploi pour les jeunes qualifiés représente un grand défi pour le Sultanat comme c’est le cas partout dans le monde ; les petites et moyennes entreprises pourraient, avec l’aide du gouvernement, leur trouver des débouchés dans des secteurs innovants et productifs tels les énergies nouvelles et notamment solaires… Ce qui caractérise le Sultanat d’Oman, conclut-il, c’est « aller de l’avant de façon graduelle et paisible ».
L’exception omanaise
De son côté, Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, chercheur au Gremmo (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), a rebondi dans le même sens. Il a souligné la centralité du concept « Al-Sabla », comme « praxis de stabilité et de paix », et comme élément constitutif de la personnalité de ce pays singulier qui s’est construit au fil des siècles. Oman est une nation au vrai sens du terme, contrairement aux autres pays de la région qui sont des entités étatiques qui ont été construites, dans une large mesure, autour d’intérêts extérieurs. La force des Omanais, c’est d’abord leur ancrage dans un territoire extrêmement varié qui a pu protéger cette identité omanaise des invasions extérieures. Ensuite, c’est leur capacité à s’ouvrir aux autres. D’après Lavergne, il y a assez peu de pays qui ressemblent à Oman (4 millions d’habitants) qui sont capables de vivre au quotidien cette solidité ; cette dernière est le levier pour jouer un rôle positif à l’égard des autres, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran, et de tenir tête à des pays vingt ou cinquante fois plus peuplés, et réussir à s’imposer non pas par la force mais par cette conviction. La jeunesse omanaise devrait s’appuyer sur cette exception pour participer à la construction de l’avenir du pays.
Le pétrole entre bénédiction et malédiction
Devenir un pays producteur d’hydrocarbure, est une bénédiction et également un danger pour l’identité et la stabilité. Cela pourrait provoquer les convoitises de l’extérieur, fragiliser l’identité de l’intérieur et créerait une nouvelle mentalité de rentier, qui n’a plus envie de travailler ; ainsi on néglige l’éducation et le sens collectif sur lequel Al-Maani a beaucoup insisté. Les écarts sociaux pourraient être nocifs et provoquer chez une certaine jeunesse fascinée par la vitrine consumériste factice de Dubaï, des envies venues d’ailleurs…
D’après Lavergne, c’est une chance pour Oman d’être un petit producteur de pétrole et un moyen producteur de gaz, ce qui lui a permis de se développer sans extravagance : en alliant tourisme avec les impératifs de la protection de l’environnement et les espèces maritimes et terrestres. Il faut donc donner davantage de travail à la jeunesse, à condition qu’elle soit formée et compétitive, ce que les plans quinquennaux ont fixé comme but à atteindre par le développement durable dans toutes ses facettes.
En clôture de ce séminaire à Paris, les organisateurs ont diffusé undocumentaire intitulé De sable et d’écume, écrit et réalisé par Alexandre Mostras, et produit par Ma Drogue À Moi – Ushuaïa TV, avec la participation de TV5 Monde.