Avec l’extension des opérations de l’organisation « Etat islamique » (Dae’ch) et celle des ripostes inadaptées de la Coalition internationale, le Liban fait une fois de plus les frais de l’instabilité proche et moyen-orientale. Des jihadistes originaires de plusieurs pays restent installés durablement à Tripoli. Ils attaquent régulièrement Baalbek, Ersal et d’autres localités de la Bekaa. Ceux d’Aïn el-Héloué (banlieue de Saïda), toujours l’arme au pied, attendent de nouvelles opportunités pour encore semer la mort, le fanatisme et la bêtise…
Depuis juillet 2011, ces factions islamistes – soutenues, financées et armées par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et d’autres -, essaient vainement d’ouvrir un nouveau front au Liban. Heureusement et jusqu’à maintenant, l’armée libanaise a tenu bon ! A cet égard, on ne remerciera jamais assez le président Emile Lahoud d’avoir restauré ses capacités opérationnelles en continuité intercommunautaire. Néanmoins, cette armée nationale demeure fragile car largement sous-équipée face aux hordes barbares disposant des systèmes d’armement les plus sophistiqués. Le « cadeau » des trois milliards de dollars saoudiens à la France pour consolider l’armée libanaise semble s’être perdu dans les sables. Dernièrement en visite à Paris, le prince héritier d’Arabie saoudite s’était pourtant engagé à boucler rapidement ce dossier qui traîne depuis deux ans, mais c’était sans compter avec la vigilance pugnace des Israéliens et d’une partie de l’administration américaine qui ne souhaite voir, à aucun prix, le Liban se doter de capacités propres de défense !
Le nationalisme du Hezbollah.
Ce projet de modernisation de l’armée libanaise s’est heurté aussi aux habituels chiens de garde affirmant que renforcer l’armée libanaise revenait aussi à conforter le Hezbollah. Que répondre à ces « idiots utiles » si ce n’est que les unités combattantes du Hezbollah ont toujours mis leur puissance de feu en premier lieu au service de la défense du territoire libanais, dans une optique stato-nationale lors d’opérations de résistance aux incursions de l’armée et des services israéliens. En dépit des faiblesses structurelles de l’armée libanaise précédemment évoquées, il importe de redire ici, de la manière la plus claire possible, que les unités du Hezbollah constituent aujourd’hui encore la seule force crédible assurant la défense, non moins crédible de la frontière sud du Liban. Par ailleurs, ces mêmes forces continuent de faire tampon entre les jihadistes des banlieues de Saïda – qui reçoivent régulièrement la visite et les chèques du prince Bandar ben Sultan -, et les contingents de la FINUL composés majoritairement de soldats français ! Malgré ces efforts incessants, la propagande israélienne n’a pas réussi à réduire l’image du Hezbollah à celle d’une quelconque organisation terroriste. On peut affirmer, sans risque d’être sérieusement démenti, qu’une majorité de citoyens libanais considèrent aujourd’hui que l’aile armée du Hezbollah sert la défense de la souveraineté territoriale et politique du Pays du cèdre.
Depuis 1978, chaque jour qui passe voit la marine et la chasse israéliennes violer consciencieusement et les eaux territoriales et l’espace aérien libanais comme s’il s’agissait de simples annexes du « Grand Israël ». Cet état de fait n’inquiète pas grand monde et surtout pas les belles âmes toujours prêtes à se mobiliser pour la sécurité d’Israël, alors que celle du Liban et des Libanais ne semblent certainement pas mériter la même attention… Ce déséquilibre géopolitique récurrent bénéficie de complicités internes au Liban : inutile de beaucoup insister sur la résurgence des liens politiques et militaires que les Phalangistes et les Forces libanaises ont entretenu pendant longtemps avec les services israéliens, sur ceux que Saad Hariri cultivent familièrement et structurellement avec les ploutocrates saoudiens pour souligner à quel point la défense et la sécurité du Liban et des Libanais demeurent inféodées à des intérêts personnels, claniques et mafieux, n’ayant que peu à voir avec l’indépendance et l’honneur du Liban !
Présidence vacante.
Ces effets de collaboration continue de membres éminents de la classe politique libanaise avec les partis de l’étranger (Israël et les monarchies wahhabites) n’en finissent pas de générer d’autres effets récurrents de dysfonctionnement, sinon de blocage de la vie politique nationale de ce « pays message »… En novembre prochain, faute d’élections législatives, le parlement devra être reconduit dans sa composition actuelle. Depuis quelque 140 jours, la présidence du pays demeure vacante. Celle-ci qui, constitutionnellement doit revenir à un dirigeant chrétien, aurait logiquement dû être assumée par le général Michel Aoun. Mais les Phalangistes et les Forces libanaises – encore eux -, et leurs alliés du 14 mars n’ont cessé de faire barrage à cette solution qui aurait permis l’élection d’un président chrétien « fort » et susceptible de défendre les intérêts du pays face aux différents acteurs régionaux toujours enclins à instrumentaliser les différentes communautés libanaises.
Il est vrai que Michel Aoun n’a pas toujours été très diplomate. Ce militaire de fort tempérament – qui indéniablement cultive « une certaine idée du Liban » au sens gaullien du terme -, n’a jamais hésité à dire aux uns et aux autres leurs quatre vérités. Cette posture de clarté et de franchise politique, qui ne lui a pas valu que des amis, aura certainement beaucoup pesé dans sa non-élection. Son allié – Sleiman Frangieh 1 -, le jeune chef des Marada (Chrétiens du nord) qui fut plusieurs fois ministre a fait preuve de compétence, de sang froid et de responsabilité à de multiple reprises. Ce jeune et talentueux leader politique est un patriote libanais authentique également très au fait des dossiers économiques, sociaux, environnementaux et des questions d’aménagement du territoire (schéma directeur routier et autoroutier, gestion des nappes phréatiques, déforestation et reforestation, faune et flore).
Certes, acteur à part entière de la coalition du 8 mars, il entretient les meilleures relations avec le Hezbollah, avec ses voisins syriens, tout en poursuivant des contacts suivis avec les Druzes de Walid Joumblatt et d’autres représentants du 14 mars. Selon les meilleurs observateurs de la scène politique libanaise et malgré une histoire personnelle douloureuse 2 , il a su s’imposer par une personnalité pragmatique, consensuelle et patriotique. Leader chrétien charismatique, il a les intérêts du Liban chevillé à l’âme et au corps et constitue certainement la meilleure carte que les élites et le peuple libanais auraient intérêt à jouer dans le contexte actuel.
Plusieurs conseillers du Département d’Etat américain et princes saoudiens partagent désormais cette approche. Le Quai d’Orsay qui ne jurait, récemment encore, que par les sirènes du 14 mars, celles de Riyad et de Tel-Aviv, commence lui-aussi à découvrir les potentialités de ce jeune futur président possible et compatible avec la complexité de la nouvelle situation régionale. C’est merveilleux ! Les députés libanais, qui seront prochainement reconduits pour les deux prochaines années, seraient bien inspirés de prendre en compte ces lignes qui bougent en surmontant leurs questions d’ego, de clans et d’intérêts personnels pour se hisser jusqu’aux intérêts supérieurs de la nation libanaise. Il en va non seulement de l’avenir du Pays du cèdre, mais aussi des déséquilibres régionaux et internationaux qui ont abouti à l’établissement territorial d’une organisation terroriste meurtrière et pitrale…
Notes
1 Sleiman Frangieh a été ministre d’État sans portefeuille entre 1990 et 1992 (gouvernement Omar Karamé), ministre de l’Habitat et des coopératives en 1992 (gouvernement Rachid Solh), ministre des affaires Rurales et municipales entre 1992 et 1995 (gouvernement Rafiq Hariri), de la Santé entre 1996 et 1998 et entre 2000 et 2004 (gouvernements Rafiq Hariri), ministre de l’Agriculture, de l’Habitat et des Coopératives entre 1998 et 2000 (gouvernement Salim El-Hoss) et ministre de l’Intérieur entre 2004 et 2005 (gouvernement Omar Karamé).
2 Son père Tony Frangieh, sa mère et sa petite sœur ont été assassinés, ainsi qu’une trentaine des habitants du village de Ehden le 13 juin 1978 par les phalangistes commandés par Samir Geagea, conseillé par les services de l’armée israélienne.
Par Richard Labévière
Esprit corsaire
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