Le spectacle des chancelleries occidentales qui délocalisent leurs personnels diplomatiques en Libye fait sordidement écho à ce que ces mêmes chancelleries affirmaient peu avant la chute de Kadhafi.
Après lui, disaient-elles, ce sera le règne de l’ouverture, du partenariat avec l’Ouest et de la démocratisation du pays… Trois ans après, il n’y a dans ce pays ni libertés, ni sécurité et encore moins d’institutions capables de gérer et de réguler quoi que ce soit pour espérer obtenir un partenariat avec l’Europe et les États-Unis. Mais au vide politique laissé par le dictateur tragiquement déchu, pathétiquement incarné par un pouvoir de transition falot et sans emprise sur les groupes armés qui s’entre-déchirent à Tripoli et dans d’autres régions du pays… « La menace est réelle », a déclaré avant-hier le secrétaire d’État américain aux Affaire étrangères, John Kerry, pour expliquer l’évacuation du personnel de l’ambassade US vers Tunis. Son constat est juste, mais ne manque tout de même pas d’un certain humour noir. Il y a trois ans, quand les insurgés libyens étaient soutenus par les F16 et les drones de la coalition qui s’était liguée contre le régime Kadhafi et au sein de laquelle Washington a joué un rôle clé, le discours était moins à l’économie qu’il ne l’est aujourd’hui. Il est en tout cas caractéristique du fossé qui sépare 2011 et des discours faisant l’éloge des démocraties aéroportées, quand le 30 octobre le représentant des États-Unis auprès de l’OTAN, Ivo H. Daalder, avait crié « Mission accomplie » dans le Herald Tribune, de 2014 et de la réalité d’un pays qui, s’il s’est débarrassé d’un dictateur, n’a plus de centre ni ne sait où il va. Si ce n’est dans le sens d’une dérive sanglante de groupes armés en tous genres et de tout acabit, pour le plus grand malheur des Libyens qui n’ont plus qu’à espérer un miracle… Dès lors, on comprend mieux le silence de certaines grandes capitales de l’ex-coalition anti-Kadhafi. À Paris par exemple, on ne parle presque plus de la Libye. L’ancien président Nicolas Sarkozy, il est vrai, n’est plus aux commandes. Dans son pays, il est passé depuis à la rubrique des délits de droit commun, lui qui a mis les forces françaises en première ligne et qui a partagé avec la Royal Air Force britannique 40 % des frappes contre les centres militaires et névralgiques de Kadhafi. Mais la responsabilité d’un État va au-delà des personnes quand les dommages sont terribles et le bilan désastreux. Certes, il se trouvera toujours des analystes qui diront Paris, Washington, Londres n’ont pas pensé à la suite des opérations et qu’ils ont mésestimé les moyens nécessaires pour aider la Libye à réussir le changement. Mais rien n’est plus léger que de telles lectures. La réalité est que chaque pays de la coalition de l’époque n’agissait qu’en fonction de ses intérêts et de son appréciation spécifique du « dossier libyen ». Et ce n’est pas pour rien que des fronts diplomatiques ont été ouverts contre les pays qui étaient hostiles à l’intervention occidentale comme la Chine et le Brésil. Sont-ils satisfaits, ces intérêts ? Qui de Paris, Washington, Londres ou Doha a eu le meilleur bénéfice ? La question mérite certainement débat, tout comme il est intéressant de se pencher au passage sur la nature des mouvements et des transactions autour des terminaux pétroliers libyens. Mais elle est aujourd’hui secondaire pour les pays voisins qui sont les premiers impactés par le chaos libyen. À cause de la Libye et d’autres, l’Algérie a été touchée au cœur de son économie avec l’attaque contre la plateforme gazière de Tiguentourine en janvier 2013. En raison de la circulation inconsidérée d’armes de guerre et d’une activité djihadiste locale en connexion avec des réseaux transnationaux de même obédience, l’ANP mobilise aujourd’hui un budget important pour la surveillance et la sécurisation de nos frontières. Ailleurs, près du Mali notamment, l’effort sécuritaire est accru pour parer aux risques d’attaques que peuvent mener des groupes dont on ne connaît ni la mobilité ni la capacité de nuisance depuis que la Libye est devenue un arsenal à ciel ouvert. Plus vulnérable en raison de la situation politique exceptionnelle qu’elle connaît et les difficultés économiques qu’elle subit, la Tunisie paraît encore plus fragile. Elle fait face à une menace terroriste qui prend source dans le vortex libyen. Les attentats qu’elle déplore régulièrement et la tentative de sanctuarisation de groupes djihadistes au mont Chaâmbi, à nos frontières aussi, en sont les terribles marqueurs. Le pacte signé entre les deux pays par Abdelmalek Sellal et Mehdi Jomaâ à Tébessa, le 22 juillet dernier, pour combattre le terrorisme et le crime organisé, a été scellé par les liens historiques profonds, mais aussi par la nécessité de limiter les dommages collatéraux de l’interventionnisme impérialiste occidental et de son désengagement quand tout va mal.
Source : Reporters (Algérie)
https://www.reporters.dz/face-a-la-responsabilite-et-au-desengagement-des-puissances-occidentales-lalgerie-et-la-facture-du-desordre-libyen/14537