Malgré une batterie de sanctions américaines injustement et illégalement imposées au Soudan, et la perte de 75% de sa production pétrolière suite à la séparation du Sud, les énormes potentialités économiques de ce pays attirent de plus en plus les investisseurs non occidentaux, particulièrement la Chine, la Russie et les pays du Golfe. En visite à Paris dans le cadre d’une importante délégation économique, à l’invitation du patronat français (MEDEF), nous avons rencontré le chef de cette délégation, le Ministre soudanais des Mines, Ahmed Mohammed Sadiq Al-Karouri.
Quel est le but de votre visite à Paris ?
Une très importante délégation d’hommes d’affaires et acteurs économiques soudanais, dirigée par le Ministre des mines, et comprenant le ministre d’Etat pour les affaires économiques et financières a répondu à l’invitation du Medef. Il s’agit d’accroitre les échanges économiques avec la France. D’autant plus que nous avions avec Paris dans le passé des relations économiques importantes (Le Soudan est le troisième partenaire de la France en Afrique de l’Est, après le Kenya et l’Ethiopie et les entreprises françaises sont présentes dans les secteurs pétrolier et minier, la cimenterie, l’hydroélectrique et l’agriculture, particulièrement dans la gomme arabique). Il convient de noter que les plus grands barrages du pays ont été réalisés avec l’expertise française (Alsthom). C’est le cas également en ce qui concerne le secteur minier (or). Nous avons créé en 1990 avec une société française un joint-venture très prometteur à travers une nouvelle société commune ARIAB. Il est regrettable que la France ait vendu récemment ses parts dans cette société à un investisseur privé égyptien, Naguib Sawires. Nous aurions souhaité que la France continue à travailler dans ce secteur au Soudan. Cela aurait pu présenter un exemple réussi de la coopération entre les deux pays.
Le retrait des actionnaires français de la société minière Ariab était-il pour des raisons politiques ?
Je doute. Cette société française avait également des investissements en Afrique occidentale, en Australie et un peu partout dans le monde. Elle a cédé ses parts dans ses pays…De 1991, date du démarrage de l’extraction aurifère, cette société a produit 80 tonnes d’or. Cette société possède dans ses concessions des réserves confirmées d’or d’un montant de 140 tonnes d’or. A ajouter à 3000 tonnes d’argent, 700.000 tonnes de zinc et 1.300.000 tonnes de cuivre ! La valeur totale de ces réserves est de 17 milliards de dollars d’aujourd’hui. Les concessions accordées à cette société mixte est de 46.000 km2, situées à l’Est près de la mer Rouge. Une situation idéale puisqu’elle proche des ports d’exportation. Nous avons au jour d’aujourd’hui huit autres sites aux réserves comparables. C’est dommage pour la société française. Actuellement nous sommes en train de finaliser le rachat par des investisseurs soudanais des parts cédées par les Français à Sawires. Malgré ce retrait, nous sommes toujours ouvert à la participation française, privée ou publique, dans ces concessions. D’autant plus que le Soudan est un pays qui regorge de mines de toutes sortes et partout…Le Soudan est un terrain encore vierge dans ce domaine alors que les autres pays miniers, comme l’Afrique du Sud ont presque épuisé toutes leurs réserves. Les minerais sont des ressources tarissables. Ce que vous exploitez aujourd’hui, il sera trop tard demain.
Qui sont les investisseurs étrangers actuellement ?
Les sociétés qui opèrent actuellement dans le secteur minier soudanais sont au nombre de162 sociétés dont 51 étrangères appartenant à 17 nationalités. En tête des nationalités, il y a par ordre d’importance la Russie, la Chine, les pays arabes. Nous avons aussi des sociétés occidentales notamment canadiennes qui s’y sont investies et sont sur le point de démarrer la production.
Lors de votre visite, avez-vous senti qu’il y a une volonté française de retourner en force sur le marché soudanais ?
Nous avons senti qu’il y a un vrai intérêt. Nous l’avons constaté à travers la présence d’acteurs économiques de poids lors de nos rencontres publiques mais aussi à travers les contacts bilatéraux en dehors du programme officiel. Ils sont intéressés par l’investissement dans le secteur minier. Je rentre assez confiant quant aux opportunités de coopération avec la France.
Quelle est la nature des sanctions imposées au Soudan, leur impact sur l’économie et la société ?
Ce sont des sanctions injustes imposées par les Etats-Unis sous de multiples prétextes fallacieux. Tantôt, en raison du soutien apporté par le Soudan à l’Irak, tantôt la guerre dans le Sud soudanais. Washington avait demandé à Khartoum de signer les accords de paix avec le Sud connus sous Accords de Néfacha. En contrepartie, les sanctions seraient levées. Nous avons signé les accords de paix en 2005, mais les sanctions sont restées telles quelles. Ils ont aussi demandé la tenue d’un référendum au Sud Soudan pour savoir si la population du Sud opterait pour l’indépendance ou le maintien dans la fédération soudanaise. En contrepartie de quoi, et abstraction faite du résultat, les Etats-Unis avaient promis de lever les sanctions et de considérer le Soudan comme un partenaire stratégique. Le référendum a effectivement eu lieu. Le Sud Soudan s’est séparé du Soudan en emportant avec lui les immenses richesses pétrolières (75%), mais l’embargo économique et les sanctions n’ont pas changé d’un iota…Les Etats-Unis n’ont tenu aucun de leurs engagements.
La gomme arabique n’est pas frappée d’embargo ?
Et pour cause, car les Américains en ont besoin pour leur industrie. Les sanctions ne ciblent pas, comme prétend Washington, le gouvernement soudanais. Elles ciblent le peuple soudanais.
Comment ?
Ce sont des sanctions qui sont en apparence politiques, mais en réalité elles touchent le cœur de l’économie soudanaise. Les citoyens soudanais en souffrent dans le domaine de l’agriculture, puisque ces sanctions frappent les technologies modernes, les routes, les transports indispensables pour tout développement dans ce domaine.
Mais ces sanctions américaines ne concernent que les produits américains…
Absolument pas. Tout pays et toute société qui traite avec le Soudan seront sanctionnés. Comme nous l’avons constaté avec la BNP. Les banques européennes seront sanctionnées si elles font des transactions financières avec le Soudan…
…en dollars seulement ?
Mais le dollar est la première monnaie d’échange sur plan international. Privés de transactions, tous les secteurs de l’économie sans distinction, sont touchés de plein fouet, en compris le secteur des mines. En dernière analyse c’est le citoyen soudanais qui en est la victime. Le gouvernement est toujours debout malgré cet embargo. Mieux encore, les Soudanais, révoltés contre cette injustice qui les touche directement, sont solidaires de leur gouvernement.
Mais on constate malgré cet embargo que l’économie continue à se développer, que les investisseurs étrangers courtisent le Soudan… N’avez-vous pas l’impression que ceux qui vous imposent des sanctions s’infligent à eux mêmes, en ricochet, des sanctions ? Par ailleurs, vos échanges avec la Russie et la Chine ne se font pas en dollars.
C’est exact. Le Soudan est un pays riche en opportunités qui peut compter sur ses immenses potentialités, notamment agricoles et humaines. Ceux qui nous imposent l’embargo pensaient que le printemps arabe allait toucher le Soudan et emporter son gouvernement. Ils ont été pour leurs frais. C’est l’effet contraire qui s’est opéré. La population s’est plutôt rapprochée de ses dirigeants. Certes, on a perdu 75% de notre pétrole, mais cela a été remplacé par des découvertes minières sans précédent qui constituent désormais l’un des leviers majeurs de la croissance. Nous avons aussi développé notre agriculture, notre secteur d’élevage, nos infrastructures dans tous les domaines. C’est cela qui explique le progrès économique en cours malgré la sécession du sud.
Nous avons aussi apaisé nos relations avec tous nos voisins et développé des partenariats avec tous les pays amis. La dernière visite de Sergueï Lavrov à Khartoum a donné une impulsion sans précédent entre nos deux pays et dans tous les domaines. Idem pour la Chine qui est omniprésente dans tous les secteurs économiques, surtout dans le secteur pétrolier. Pour rappel, ce sont les compagnies américains qui ont réalisé les premières découvertes pétrolières avant de se retirer sur ordre de leur gouvernement. La Chine l’a remplacé de pied levé et aujourd’hui elle continue, suivie par la Russie à prospecter avec l’espoir de découvertes importantes. Quant à nos relations avec les pays arabes, elles sont bonnes. C’est également le cas avec tous nos voisins, à part le Soudan du Sud qui continue à armer et à financer les rebellions à nos frontières. Lui-même, en guerre civile, souffre paradoxalement de ces rebellions qu’il soutient ailleurs. Nous avons dernièrement accueilli plus de cent milles réfugiés du Sud qui sont venus s’ajouter aux centaines de milliers qui les avaient précédés depuis l’indépendance.
Qu’en-est-il du pétrole après la sécession et l’éclatement de la guerre civile dans le Soudan du Sud ?
Le pétrole est produit dans le Sud et dans le Nord. Nous produisons actuellement 125.000 barils par jour. Le Sud produit aussi du pétrole et l’exporte à travers les terminaux du Nord en contrepartie de taxe de transit (près de 900. Millions de dollars en 2014). Malgré la guerre civile au Sud, le flux pétrolier n’a pas été interrompu. Quant au territoire pétrolier d’Abey disputé, le conflit est pour le moment gelé.
Comme vous pouvez le constater, la stabilité, contrairement à ce que les médias occidentaux racontent, règne au aujourd’hui au Soudan. Les mouvements armés sont sanctuarisés à la frontière avec le Sud et dans le Sud. Ils n’ont aucune incidence réelle sur la situation globale. C’est le cas au Darfour aussi où la rébellion est cantonnée dans quelques réduits montagneux et où persiste de temps en temps quelques conflits tribaux. Il n’y a plus aucun mouvement armé qui menace la sécurité nationale et la stabilité.
Les Etats-Unis poursuivent, dans le secteur minier, la même erreur qu’ils avaient commise par rapport au pétrole.
Les E-U ont allégé récemment certaines sanctions frappant le secteur de la téléphonie mobile et de l’informatique ?
C’est vrai, mais ce sont des mesurettes qui n’ont aucune incidence sur l’économie soudanaise. La seule mesure qui vaille est la levée des sanctions sur les transactions financières qui asphyxient l’économie.
Pensez-vous que la réunification du Soudan, sur une nouvelle base, est imaginable ?
Non je ne le pense pas pour le moment. Le Soudan du Sud est actuellement le théâtre d’une guerre sans merci dont les raisons étaient au départ politique et qui s’est transformée en guerre tribale et ethnique dont on ne voit pas la fin. C’est une guerre dévastatrice qui emporte tout sur son passage. Tant que ce conflit ne s’arrête pas, il est difficile de penser à une refondation des relations entre le Nord et le Sud.
Quel rôle joue Israël dans le Soudan du Sud ?
C’est un rôle manifeste mais qui ne se limite pas au Soudan du Sud. Israël apportait aussi une aide multiforme (financement, armement, entrainement) à certains mouvements armés y compris dans le Darfour.
Propos recueillis à Paris par Majed Nehmé