La campagne électorale est montée d’un cran en cette fin de semaine en Afrique du Sud. Le président Jacob Zuma qui devait répondre avant le week-end, au rapport de la Public Protector, Thuli Madonsela, concernant les travaux effectués dans sa propriété de Nkandla (KwaZulu Natal) sur fonds publics, s’est livré à une véritable provocation en annonçant qu’il ne rembourserait pas les sommes évaluées par l’investigation.
Cette réaction « très JZ » comme on dit ici, a semé un peu plus le trouble au sein de l’ANC dont la direction, le National Executive Committee venait de se réunir. Certains dirigeants comme Mac Maharaj ou Gwede Mantashe, avaient mis toute leur énergie, ces derniers jours, à essayer de donner une certaine crédibilité à leur dirigeant, en cherchant des boucs émissaires, notamment l’architecte, et à minimiser la portée du rapport, mais ils n’auront réussi qu’à accumuler les gaffes qui sont, malheureusement, aujourd’hui source d’inspiration pour tous les humoristes que compte le pays.
Compte tenu de l’émotion provoquée par le rapport de Madonsela, il fallait également gagner du temps et résister à la pression de l’opposition qui demandait la réunion du Parlement suspendu pour raison de campagne électorale, afin que le président puisse être entendu, comme le prévoit la Constitution. JZ a tranché, il ne remboursera pas et il n’ira pas devant le Parlement. Il a annoncé qu’il attendrait, pour s’expliquer, la publication du rapport de l’Unité d’investigation qu’il a lui même nommée il y a plusieurs mois et a avancé la possibilité qu’un juge tranche entre les deux rapports. Une tactique qui s’avèrera sans aucun doute payante, car, ici, une fois que le nouveau Parlement sera en place, toutes les affaires en cours seront simplement archivées. Provocation également, car le rapport « définitif » de l’Unité spéciale de Jacob Zuma avait déjà été rendu publique en décembre et pouvait être lu par tout le monde sur internet. Or, en fin de semaine, il a été « modifié », y compris dans sa version internet, pour devenir un « rapport transitoire ». Un tour de passe-passe qui n’a leurré personne et qui a été immédiatement dénoncé.
La situation est tellement tendue autour du scandale Nkandla que, de l’intérieur de l’ANC, certaines voix expriment leur colère et leur désaccord avec le président. L’ancien chef de la police nationale Bheki Cele, notamment ou, plus éminent encore, l’ancien ministre de la Culture et membre historique de l’organisation, Pallo Jordan. Il avait déjà appelé, en 2012, l’ANC, à choisir « lors du prochain congrès électif, une direction qui a la volonté, le courage moral et l’attitude morale de s’atteler à l’éradication de la corruption ». « Les scandales, financiers ou autres, ont sapé la crédibilité de l’ANC et ont démoralisé non seulement ses membres, mais les millions de ses partisans », écrit-il, aujourd’hui.
En Afrique du Sud, le président de la République est élu par le Parlement. Jacob Zuma est le candidat officiel de l’ANC, mais l’opposition à sa candidature est telle en ce moment, au sein de l’organisation, que les « anti-Zuma » qui avaient été battus au dernier congrès électif de l’organisation, en décembre 2012, relèvent aujourd’hui la tête et se sont regroupés dans un comité informel, « All but Zuma » ( Tout sauf Zuma). Marquant la différence entre l’ANC et son dirigeant, ils font campagne sur ce thème dans toutes les provinces, dont le KwaZulu-Natal, berceau de JZ, et à Mpumalanga, jusqu’ici l’un des fiefs du président. Mercredi dernier, des représentants de toutes les provinces se sont réunis à Sandton, (Johannesburg) pour décider du « ticket » qu’ils veulent présenter, avant l’élection par le Parlement, contre Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa (actuel vice-président et néanmoins homme d’affaires milliardaire). Leur choix s’est porté sur le très respecté et populaire Kgalema Motlanthe et sur Tokyo Sexwale comme vice-président. Président par intérim après l’éviction de Thabo Mbeki par Zuma en 2008, puis vice-président de JZ après les élections de 2009, Kgalema Motlanathe avait précisément été le candidat malheureux anti-Zuma au congrès électoral de l’ANC en décembre 2012. « L’idée est de faire une campagne nationale, y compris où Zuma est en position de force », dit un des membres du NEC anti-Zuma.
La Ligue de la Jeunesse de l’ANC qui n’est jamais rentrée dans le rang depuis l’exclusion de son ancien président, Julius Malema, par le clan Zuma au sein de l’ANC, s’est inscrite dans ce mouvement anti-Zuma, mais maintient son soutien à Mathews Phosa, l’actuel trésorier de l’ANC, au poste de vice-président, comme elle l’avait fait au congrès de 2012. Une divergence qui devra être dépassée rapidement.
Il est clair que le scandale Nkandla qui est plus que jamais au cœur de la campagne électorale, a été l’occasion ou le déclencheur de cette crise au sein de l’ANC qui oppose, en réalité, des orientations politiques divergentes. Mais Nkandla alimente bien sûr aussi la campagne de l’opposition qui se déchaine contre JZ. Ce week-end, Julius Malema qui avait été la locomotive de Zuma dans la campagne électorale de 2009, et a essuyé, depuis, des tempêtes qui en auraient découragés plus d’un, ne ménage pas son énergie à la tête de son nouveau parti, les Economic Freedom Fighters. Fort de son uniforme rouge à béret à la Che Guevara, il harangue les foules sans relâche. « L’ANC de Nelson Mandela, la vraie, a été enterrée avec lui. Maintenant, elle est devenue l’African National Criminals (jeu de mots entre Congress et Criminels) de Zuma. » a-t-il clamé à Kliptown (Soweto) , un township où il n’y a encore ni toilettes, ni eau, ni électricité.
Quant au premier parti d’opposition, la Democratic Alliance, elle avait diffusé, la semaine dernière, un SMS dans lequel elle accusait Zuma de « voler l’argent public ». L’ANC qui l’avait considéré comme diffamatoire, avait immédiatement porté plainte. La DA vient de savourer, en cette fin de semaine, le jugement de la Haute cour de Justice qui a débouté l’ANC, jugement qu’elle utilise largement désormais dans sa campagne. « C’est à la fois une victoire pour la liberté de parole et pour la vérité sur Nkandla » a déclaré Mmusi Maimane, candidate DA à la présidence de la province de Gauteng (Johannesburg). » Le message disait « Le rapport Nkandla montre comment Zuma à volé votre argent pour construire sa maison de 246 millions de rands (24,6 millions d’euros). Votez DA le 7 mai pour battre la corruption. Ensemble pour le changement. » L’ANC avait demandé que la DA « se rétracte, arrête d’envoyer le message et s’excuse et sinon, qu’elle condamnée à payer 20 000E.
À force de vouloir justifier l’injustifiable pour protéger le président de la République et de l’ANC et en maintenant une attitude de déni et d’insulte, à la limite de l’inconstitutionnalité puisque le Public Protector est une institution inscrite dans la Constitution chère aux Sud-Africains, les partisans de Jacob Zuma à la tête de l’organisation ont fini par aggraver son image au sein de la population et pourrait obtenir l’effet inverse à celui recherché au moment du scrutin, le 7 mai prochain.
De notre envoyée spéciale au Cap