Il n’y a aucune raison valable de faire la guerre contre le Yémen. La bataille, dans son essence même, dans son plus petit dénominateur commun, est une guerre entre un passé colonial et un futur postcolonial.
Le Yémen est un pays très pauvre. Plus de la moitié de ses 26 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire. Le Yémen doit importer 90% du blé et 100% du riz qu’il consomme. Le peu d’eau dont il dispose pour l’agriculture est utilisée pour cultiver le qat, un stimulant léger que tout le monde semble utiliser. Le qat est plus rentable que la culture du blé.
Le Yémen produit très peu de pétrole et de gaz qui constituaient la principale source de revenus de l’État. Mais avec la chute des prix du pétrole et l’aggravation de la guerre, les revenus ont baissé dangereusement et sont tombés à zéro.
Une autre source importante de revenus : les transferts de fonds par des personnes travaillant à l’étranger, souvent en Arabie Saoudite.
Environ 40% de la population, principalement les tribus montagnardes du nord, sont des Zaydites qui sont considérés comme des chiites. Mais qui sont en réalité, dans leurs croyances, leurs rites et leurs lois, plus proches de certaines interprétations de l’islam sunnite que du chiisme tel qu’il est pratiqué en Iran et en Irak.
Les autres 60% des Yéménites sont des sunnites de diverses tendances soufies. La société yéménite n’a pas eu tout au long de l’histoire, il n’y pas non plus maintenant, des conflits de nature sectaire.
Dans le conflit actuel, les rebelles Houthi, qui sont issus de la communauté zaydite, se battent à côté de certaines unités de l’armée yéménite avec des soldats pour la plupart sunnites. Les Houthi sont un mouvement de renouveau zaydite qui lutte pour jouer un rôle de premier plan, comme ce fut tout au long de l’histoire, à la tête du pays.
Au cours des dernières décennies, l’Arabie Saoudite a parrainé des écoles salafistes et des prédicateurs au Yémen. Ils ont formé des wahhabites à la mode saoudienne qui considèrent les zaydites comme des non-croyants et le courant soufi comme non islamique. Une école salafiste avec 8000 disciples a été implantée dans Dammaj, en plein milieu de la province zaydite de Saada. Cette implantation a joué un rôle central dans le déclenchement du conflit inter-yéménite actuel.
Les Houthis se battent contre le gouvernement central depuis 2004. Après l’éviction de l’ancien président Saleh en 2011, lors du printemps arabe, un simulacre d’élection a été organisé plaçant l’ancien vice-président Hadi à la tête de l’Etat. Une tentative d’élaboration d’une nouvelle constitution et une démocratie de façade ont été engagées. La tâche a été confiée au Conseil des clowns du Golfe sous la direction de l’Arabie Saoudite et de quelques bureaucrates de l’ONU qui n’avaient aucune réelle connaissance du Yémen. Les Houthis ont été exclus du processus qui a, bien sûr, échoué.
Finalement, les Houthis, avec l’aide de certaines unités de l’armée, ont pris la capitale Sana. Ils ont exercé des pressions sur le président Hadi pour l’amener à créer un gouvernement technocratique d’union nationale pour résoudre certains des problèmes les plus urgents du pays. Pendant plusieurs mois le président intérimaire Hadi a tergiversé et a fini par fuir vers le Yémen du Sud et de là vers l’Arabie Saoudite. Les Houthis, alliés à certaines unités militaires sous le commandement de l’ancien président Saleh ont commencé à s’emparer du pays.
Les Saoudiens et leurs protecteurs américains veulent un Yémen sous leurs bottes. Ils excluent toute idée d’un Yémen réellement indépendant. Ils sont, comme «l’Occident», un état néocolonial tandis que le Houthis sont, comme l’Iran ou la Chine, une entité postcoloniale : le vrai enjeu de guerre contre le Yémen est là.
Ce ne est pas qu’un conflit régional. C’est aussi un problème mondial avec des ramifications qui vont bien au-delà du Moyen-Orient. La région est tout simplement le théâtre d’un conflit qui vient d’ailleurs.
Le Yémen, la Syrie et l’Irak ne sont que les poudrières qui peuvent ou ne peuvent ne pas déclencher l’incendie.
La bataille, dans son essence même, dans son plus petit dénominateur commun, est une guerre entre un passé colonial et un futur postcolonial.
Par souci de clarté, appelons ces deux axes : l’axe néocolonial et l’axe postcolonial. Le premier vise à maintenir le statu quo du siècle dernier; le second s’efforce d’ignorer l’ancien ordre et de se frayer de nouvelles directions indépendantes.
Les Saoudiens, ces mercenaires payés les États-Unis ont lancé une guerre contre le Yémen. Malgré leurs revendications et leurs délires, les Saoudiens n’agissent pas seuls. Un quartier général commun avec les États-Unis a été mis en place et les services de renseignement américains leur fournissent la liste des objectifs à bombarder.
Il s’agit bel et bien d’une d’une guerre d’agression américaine. Quant aux objectifs affichés de la guerre, « la restauration de la démocratie », là où il n’y avait aucune forme de démocratie et autres balivernes ce genre, c’est carrément absurde. En fait, on demande des Houthis de disparaître, aux Zaydites et aux autres Yéménites de rouler pour la création d’une entité sous contrôle de l’Arabie wahhabite
En dépit des allégations saoudiennes ou même des Etats-Unis affirmant que l’objectif de la Tempête de la fermeté est de soutenir le pouvoir légal et le processus politique au Yémen, le vrai bute de guerre est plutôt de maintenir en place un gouvernement autoritaire et de réprimer militairement les forces qui menacent d’en finir avec le statu quo. Que cette coalition cible indistinctement l’Etat islamique (Daech), l’Iran et les mouvements démocratiques populaires issus des soulèvements arabes de 2011, montre que derrière cet amalgame, elle poursuit des objectifs stratégiques plus larges et, surtout, écarter les dangers que représentent pour ses intérêts le changement politique et social en cours.
Les Saoudiens et leurs alliés, y compris les États-Unis, bombardent le peu d’infrastructures dont est doté le pauvre Yémen. Ils bloquent les ports et l’Arabie saoudite bloque également tous les transferts d’argent envoyés par les expatriés yéménites vers leurs familles. Les stocks alimentaires seront bientôt épuisés. Les bombes ont frappé les camps de réfugiés civils, les usines agro-alimentaires, une usine de produits laitiers, des centrales électriques, les voies de communication et des stations hydrauliques…De nombreux civils ont été tués et blessés. Les armes de l’armée yéménite qui auraient du combattre al-Qaïda sont détruites….
Moon of Alabama