Deux belles prises, mais un manque de vision et de coordination dans le dossier des otages : les SR de l’armée libanaise ont arrêté deux femmes, supposées constituer une monnaie d’échange importante dans un deal potentiel avec les ravisseurs. La première, Saja al-Doulaimi, a été arrêtée au barrage d’al-Madfoun, sur la route du Nord, le 19 novembre, parce qu’elle détenait de fausses pièces d’identité. Elle circulait avec sa fille de six ans Hajar. Saja serait l’une des épouses présumées d’al-Samarraï, alias Abou Bakr al-Baghdadi, alias encore le calife Ibrahim. La seconde femme serait aussi l’une des épouses d’un responsable d’al-Nosra, Anas Charkas, surnommé Abou Ali Chichani.
Le dossier des militaires enlevés est devenu une véritable tragédie à l’échelle nationale. Le Liban tout entier est désormais pris en otage et l’État libanais, dans toutes ses institutions, montre l’étendue de sa faiblesse et son manque de vision et de stratégie dans la gestion de ce dossier. Deux « bonnes nouvelles » sont venues pourtant donner un peu d’espoir hier aux Libanais. D’abord, le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, n’a pas l’intention de se retirer des négociations, car il considère qu’il s’agit d’une responsabilité nationale, sachant qu’il bénéficie d’une grande crédibilité tant auprès des groupes qui détiennent les otages qu’auprès du Qatar et de la Turquie, sans parler de la Syrie et des différentes parties libanaises. Ensuite, sur la base d’informations données par des services de renseignements étrangers, les SR de l’armée libanaise ont arrêté deux femmes, supposées constituer une monnaie d’échange importante dans un deal potentiel avec les ravisseurs. La première, Saja al-Doulaimi, a été arrêtée au barrage d’al-Madfoun, sur la route du Nord, le 19 novembre, parce qu’elle détenait de fausses pièces d’identité. Elle circulait avec sa fille de six ans Hajar. Saja serait l’une des épouses présumées d’al-Samarraï, alias Abou Bakr al-Baghdadi, alias encore le calife Ibrahim. Elle avait été arrêtée un moment par les services de renseignements syriens avant d’être relâchée dans le cadre de l’accord qui a permis la libération des religieuses de Maaloula. La seconde femme serait aussi l’une des épouses d’un responsable d’al-Nosra, Anas Charkas, surnommé Abou Ali Chichani. En principe, ces deux arrestations, en plus de celle du colonel de l’Armée syrienne libre, Abdallah Rifaï (dont on avait dit qu’il avait été relâché par la justice, mais, en réalité, celle-ci l’avait remis à la Sûreté générale), devraient permettre aux négociateurs libanais d’être plus fermes dans leurs positions, face à l’odieux chantage effectué par les ravisseurs sur les proches des militaires pris en otage.
Mais justement, le problème réside dans la multiplicité des négociateurs, qui avait d’ailleurs poussé à un moment donné le général Ibrahim à menacer de se retirer du dossier. Dans un gouvernement paralysé par ses divisions et surtout par le fait que chaque ministre détient un droit de veto, pour ne pas concentrer les pouvoirs entre les mains de son chef, ce qui aurait mécontenté les chrétiens en l’absence d’un président de la République, plusieurs ministres possèdent leurs canaux et mènent leurs propres négociations. En réalité, ce dossier est désormais partagé comme s’il s’agissait d’un gâteau confessionnel, où chaque confession prend sa part. Selon une source sécuritaire qui suit le dossier, un ministre druze cherche à obtenir la libération des militaires druzes, les ministres sunnites travaillent pour les militaires sunnites, etc. En même temps, les ravisseurs, qui connaissent bien la situation libanaise et le confessionnalisme exacerbé qui y règne, sont en train d’utiliser ce filon pour faire pression sur les proches des otages et sur les politiciens, laissant croire à chaque camp qu’il pourrait libérer les militaires de sa confession s’il répond à ses exigences. C’est ainsi que le ministre Waël Bou Faour a lancé l’équation d’un militaire contre 5 détenus de Roumié de sa propre initiative, mais avec l’appui de Walid Joumblatt. Cheikh Moustafa Hojeiri, dit Abou Moustafa, lui-même recherché par la justice sur la base de plusieurs mandats d’arrêt, s’est érigé en négociateur privilégié et a ajouté à la liste des revendications des ravisseurs la libération de son propre fils détenu à Roumié. Toujours dans le même ordre d’idée, la décision du gouvernement de négocier directement avec les ravisseurs, sans désormais passer par le médiateur syro-qatari, a été prise sans consultation préalable avec les ministres. Bref, sans mettre en cause la sincérité et la bonne volonté du gouvernement, ce qui marque ces négociations, c’est bien l’improvisation et l’amateurisme. Alors que face à la menace d’égorger l’un des militaires, le général Ibrahim a brandi devant les ravisseurs le risque de sévir contre Joumana Homayed et Jamal Daftardar, d’autres canaux de négociations promettaient la libération de 150 prisonniers détenus à Roumié…
De l’avis de tous les spécialistes de ce genre de dossier, il serait beaucoup plus utile d’agir dans la discrétion et surtout de parler d’une seule voix, car dès qu’ils perçoivent des notes discordantes chez l’adversaire, les ravisseurs commencent à jouer sur ces failles et tentent de les approfondir pour l’affaiblir. Enfin, il faut encore préciser, toujours dans ce dossier, que si le régime syrien avait coopéré dans l’accord pour la libération des détenus de Aazaz et dans celui qui a permis la libération des religieuses de Maaloula, c’est parce qu’il y avait des intérêts directs. Pour Aazaz, il voulait aider le Hezbollah, et dans l’affaire des religieuses, il voulait faire un geste en direction du Vatican et des chrétiens. Mais le régime syrien ne peut pas accepter de libérer des détenus pour permettre la conclusion d’un accord avec les ravisseurs de militaires libanais, alors que le gouvernement libanais refuse pratiquement de lui parler. De même, il ne peut pas se permettre d’ouvrir une telle possibilité car elle pourrait pousser ses opposants à multiplier les actes de ce genre, certains d’obtenir en échange la libération de plusieurs de leurs détenus en Syrie. Selon la source sécuritaire précitée, il faudrait donc que les ravisseurs cessent de lier le dossier des militaires libanais à la libération de détenus en Syrie…
C’est dire combien ce dossier est complexe et pénible. Toutefois, le Liban n’est pas démuni, il doit simplement décider d’agir en fonction de ses moyens… qui ne sont pas négligeables.
Publié par L’Orient-Le Jour