Recep Tayyip Erdoğan s’est-il inspiré de l’exemple du sanglant Petit père des peuples ? Nominalement membre de la coalition anti-Daech, et autorisé par le Parlement ottoman à faire intervenir ses forces armées terrestres, le président de la République turque laisse les djihadistes, mieux armés et mieux entraînés, prendre l’avantage sur leurs adversaires kurdes. Ainsi pense-t-il écarter la menace d’un Kurdistan syrien autonome.
Au milieu de l’été 1944, l’Armée rouge, après avoir chassé l’invincible Wehrmacht du territoire soviétique, avait pénétré sur le sol de la Pologne et, poursuivant son offensive victorieuse, approchait de Varsovie. Les Polonais n’avaient, évidemment, pas oublié qu’en 1939, l’Union soviétique, alors alliée de l’Allemagne hitlérienne, avait de concert avec celle-ci dépecé une fois de plus leur malheureux pays. Aussi bien les plus clairvoyants d’entre eux regardaient-ils avec circonspection ceux qui se présentaient cette fois-ci comme leurs libérateurs. D’un autre côté, ils brûlaient de faire payer à l’occupant nazi les terribles souffrances que ceux-ci leur avaient infligées.
Après bien des hésitations les dirigeants de l’Armée secrète, branche militaire de la résistance polonaise, répondant aux appels enflammés de Radio Moscou et aux promesses formelles de Staline, déclenchèrent le 1er août l’insurrection de Varsovie. Ils n’ignoraient pas que l’armée allemande, malgré ses revers, avait les moyens d’écraser le soulèvement, mais ils comptaient sur l’appui décisif des Soviétiques.
Lorsque, le 2 octobre 1944, l’état-major de l’Armée secrète, à bout de forces, de rage et de désespoir, décida de capituler, les combats avaient coûté la vie à 17 000 soldats allemands, mais aussi à 25 000 combattants et 180 000 civils polonais. Les survivants furent déportés. Pendant les deux mois qu’avait duré cette bataille héroïque et inégale, l’Armée rouge, campée de l’autre côté de la Vistule, à portée de canon, était restée l’arme au pied.
Non seulement Staline, trahissant cyniquement ses engagements, avait-il donné l’ordre à ses troupes de ne pas bouger, mais il était allé jusqu’à interdire à ses alliés occidentaux d’utiliser les aéroports sous son contrôle pour porter secours aux insurgés. Ce n’est que le 17 janvier 1945 que l’Armée rouge entra dans la capitale polonaise, champ de ruines vidé de sa population. Le massacre des élites nationales, bourgeoises, catholiques et anticommunistes, complétant celui de Katyń, laissait le champ libre au pseudo-gouvernement de Lublin, émanation du Parti communiste polonais. Les Allemands avaient fait le travail.
Recep Tayyip Erdoğan s’est-il inspiré de l’exemple du sanglant Petit père des peuples ? Nominalement membre de la coalition anti-Daech, et autorisé par le Parlement ottoman à faire intervenir ses forces armées terrestres, le président de la République turque laisse les djihadistes, mieux armés et mieux entraînés, prendre l’avantage sur leurs adversaires kurdes. Ainsi pense-t-il écarter la menace d’un Kurdistan syrien autonome.
Non seulement les divisions blindées turques, massées de l’autre côté de la frontière, se gardent de briser comme elles en auraient les moyens l’offensive que les islamistes, sous leurs yeux, à portée de tir, mènent contre Kobané, mais la police turque tire à balles réelles sur les manifestants kurdes qui tentent de voler au secours de leurs frères. Les actes, en l’espèce l’inaction volontaire de l’homme fort de la Turquie sunnite réislamisée par ses soins, démentent ses paroles mielleuses. Allié objectif de l’État islamique dont il se prétend l’ennemi, Erdoğan, comme Staline, joint l’hypocrisie à l’inhumanité et feint de s’opposer à un crime dont il est le complice.
Dominique Jamet est journaliste et écrivain. Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le directeur de la publication
Source : Boulevard Voltaire
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