L’Ukraine se place au troisième rang des réserves européennes en gaz de schiste, selon les experts américains. Ce qui explique aussi l’intérêt de Washington pour ce pays, alors que les pressions exercées jusqu’ici sur la Grande-Bretagne, la Pologne, la France ou encore la Bulgarie pour le développement de l’extraction de gaz de schiste se sont soldées par un échec.
De son côté, l’Ukraine en conflit quasi permanent avec la Russie et la société Gazprom, dont elle dépend pour plus de la moitié de ses importations en gaz, ne pouvait qu’accueillir favorablement la demande américaine d’exploitation de ses sites.
En novembre 2013, peu après le début des manifestations de Kiev, la compagnie Chevron a signé un accord pour une période de cinquante ans avec le gouvernement ukrainien pour l’exploitation du gaz de schiste et de pétrole dans l’ouest du pays. Selon le New York Times, « Le gouvernement a déclaré que Chevron dépenserait $350 millions pour la phase exploratoire du projet, avec total investissement qui pourrait atteindre $10 milliards ».
Lorsqu’e, juin dernier, Joe Biden, vice-président américain, a conduit la délégation américaine à la cérémonie d’investiture du président milliardaire Petro Poroshenko élu après le coup d’État, il a salué la « démocratie » nouvelle et annoncé une aide additionnelle de $49 millions au gouvernement ukrainien. « America is with you ! » a-t-il déclaré. Deux mois plus tôt, Hunter Biden, fils du même Joe Biden, avait été nommé l’un des trois directeurs de la première compagnie pétrolière ukrainienne, la Burisma Holdings Ltd, dont les filiales en Crimée exploitent deux sites de pétrole et de gaz naturel, en ligne de front contre la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, et au premier rang dans la campagne pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Europe, sous le slogan « Nouvelle Ukraine, Nouvelle Europe, Nouveau Monde ! »
Aucun Ukrainien ne figure à la direction de Burisma LTD. Son président depuis 2013, Alan Apter, est un américain de la finance passé par Merrill Lynch, Renaissance ou encore Morgan Stanley, et qui a fait carrière en Europe de l’Est. Aux côtés de Hunter Biden, aux deux autres postes de directeurs, on trouve l’un de ses proches, Devon Archer, fondateur de SitaroLLC, une société américaine leader en matière de software marketing et services, conseiller de John Kerry lors de sa campagne pour les présidentielles de 2004, et… Aleksander Kwasniewski, président de Pologne de 1995 à 2005, acteur important de la chute du régime communiste, premier président du Parti social-démocrate polonais, aujourd’hui également membre du conseil d’administration de l’International Crisis Group. Se disant « organisme indépendant », celui-ci est, cependant, financé par divers gouvernements occidentaux et l’Union européenne avec pour mission, depuis sa création en1995, « la prévention et la résolution des conflits armés ». En réalité, c’est une organisation dont le rôle non officiel est d’influer, par des rapports de « spécialistes », sur les décisions en matière de politique internationale des puissances occidentales et sur l’ONU. C’est dans son conseil consultatif qui compte des multinationales comme Chevron et Shell, que réside le lien avec l’Ukraine et Burisma.
Car Chevron n’est pas la seule compagnie intéressée par les ressources ukrainiennes en gaz de schiste. Outre l’Italienne Eni qui prospecte les gaz de schiste dans la Mer Noire, la Royal Dutch Shell est, également, engagée avec l’Ukraine par un contrat signé avec le gouvernement du président Yanukovych, peu avant le coup d’ État, pour prospecter dans l’est du pays. Et on comprendra mieux l’acharnement contre la Crimée lorsqu’on sait que Chevron, Shell, ExxonMobil, Repsol sont intéressées par le développement de sites offshores dans cette région rebelle qui refuse la rupture avec la Russie et l’entrée dans l’Europe.
Il est donc clair que les « majores » du pétrole sont directement impliquées dans le conflit ukrainien, mais comme le dit un spécialiste de la question, « Il ne faut pas oublier que la première responsabilité de toute entreprise est d’augmenter les profits de ses actionnaires, pas nécessairement de promouvoir la démocratie ou la souveraineté des pays dans lesquels ils opèrent. » On a pu, effectivement constater les effets de la présence de Chevron ou Shell sur les droits humains ou l’environnement, comme au Nigéria.