Ankara se trouve bien embarrassée par la politique d’Erdoğan qui a largement échoué.
Un soldat turc observe le massacre des kurdes syriens ât les hordes de Daech de l’autre côté de la frontière, sans réagir…
La Turquie rejoint la coalition en marche arrière et au ralenti. Le comportement de ce pays devrait faire prendre conscience de leur naïf aveuglement à ceux qui souhaitaient son entrée dans l’Union européenne. La Turquie n’est pas européenne. Elle ne l’est pratiquement pas sur le plan géographique. Elle ne l’est pas du tout culturellement, et l’AKP d’Erdoğan l’en a éloignée par son islamisme dit « modéré » dans le seul pays majoritairement musulman qui pratiquait depuis Atatürk une forme de laïcité.
Elle ne l’est surtout pas sur le plan géopolitique. Certes, la Turquie fait partie de l’OTAN et a « gardé » les détroits face aux Soviétiques pendant la guerre froide comme elle le faisait déjà avec le soutien anglais face au tsar. Mais en dehors de la paranoïa américaine, qui pense sérieusement que la Russie de Vladimir Poutine puisse caresser les ambitions de ses prédécesseurs ? La Turquie a des frontières avec l’Iran, son ennemi historique, l’Irak et surtout la Syrie, ses anciennes provinces arabes, et elle partage avec ces États la vaste communauté kurde. 15 millions de Turcs sont kurdes, majoritaires au sud-est du pays.
La Turquie est un État fondé sur une victoire militaire et a visé à réaliser son unité par le génocide et la purification ethnique. Toutefois, les Kurdes, complices du génocide arménien, continuent à former une communauté distincte, islamisée superficiellement et incomplètement, de culture et de langue indo-européenne et non turque. Sa soif d’indépendance l’a conduite à obtenir le soutien soviétique quand la Turquie était l’allié privilégié des Américains dans la région. C’est pourquoi le PKK, le vieux parti indépendantiste, rebelle, et durement réprimé, est fortement imprégné de communisme, et diffère en cela des partis autonomistes kurdes des autres pays. On comprendra sans peine que la Turquie d’Erdoğan ne veut pas forcément le bien des Kurdes et n’est pas très pressée de venir à leur secours.
Dans la logique sans faille de l’histoire contemporaine de ce pays, l’intérêt national prime. Avec la victoire des islamistes modérés de l’AKP sur les héritiers laïcs et militaires d’Atatürk, le nationalisme, dopé par une relative réussite économique, a simplement changé de vêtements. Ils sont plus amples et aspirent à recouvrir une zone géographique plus large, turque au nord-est et musulmane au sud. C’est pourquoi le voile de l’islam « modéré » en est devenu l’instrument.
Ankara se trouve donc bien embarrassée par la politique d’Erdoğan qui a largement échoué. Il comptait renforcer la Turquie en soutenant les pouvoirs musulmans « modérés » qui remplaceraient les dictatures. En Libye, c’est l’anarchie. En Égypte, ce sont les militaires – son propre cauchemar – qui ont repris le pouvoir. Non seulement son objectif principal – installer un gouvernement frère dans la Syrie voisine, en évinçant au passage les Russes de la région – n’est pas atteint, mais la guerre civile syrienne a fait naître un monstre islamique qui a mis les « modérés » sur la touche et fait des redoutables Kurdes les meilleurs résistants. Combattre l’« État islamique » comme l’armée turque pourrait le faire rapidement et efficacement reviendrait à aider Bachar el-Assad d’un côté, les Kurdes de l’autre. Maintenir l’attitude actuelle justifierait le soupçon de connivence avec les pires des fanatiques. C’est une double horreur au milieu de laquelle Erdoğan tente de louvoyer.
La Turquie rejoint donc la coalition et assiste en spectatrice à l’écrasement des Kurdes syriens tout en empêchant les Kurdes de Turquie de leur prêter main forte. Le but est peut-être de maintenir ensuite par une intervention une zone tampon où s’installeraient les réfugiés syriens. Ainsi, la Turquie sauverait les apparences en étant avec les gentils et pour l’humanitaire tout en neutralisant et en affaiblissant la présence kurde à sa frontière. Futé, Erdoğan… mais nullement fréquentable !
Boulevard Voltaire
Christian Vanneste. Homme politique, Ancien député UMP, Président du Rassemblement pour la France