Depuis vendredi, les rues de Hong Kong sont occupées par des dizaines de milliers de manifestants qui protestent contre la nouvelle réforme politique imposée par Pékin qui prévoit de limiter le choix du futur chef de l’exécutif local. Un mouvement pro-démocratie et un test politique pour le leader chinois Xi Jinping qui craint autant la contagion du mouvement que la rupture entre la péninsule et le continent.
«Un pays, deux systèmes », c’était la promesse énoncée par Deng Xiaoping dans les années 80 au moment de l’entame des négociations de la rétrocession de colonie britannique de Hong Kong à la Chine. Le « petit timonier » avait même précisé sa pensée : « Pour parler plus précisément, cela signifie qu’au sein de la République populaire de Chine, le milliard et demi de Chinois habitant la partie continentale vit sous un régime socialiste, tandis que Hong Kong, Macao et Taïwan sont régis par un système capitaliste ».
On pourra reconnaître à Deng Xiaoping, que dans son esprit il était sans doute bien plus question de système économique que de politique, conscient de la nécessité de préserver la poule aux œufs d’or hong-kongaise, deuxième place financière asiatique. En matière de libertés politiques, le pragmatisme de Pékin l’emporterait, même si l’accord sino-britannique signé en 1997 était censé garantir la mise en place d’une véritable réforme démocratique qui mènerait au suffrage universel. Pour le moment, l’accès au vote est limité à un collège de grands électeurs validé par Pékin.
Les manifestants de #OccupyCentral exigent justement le retrait du projet de nouveau mode de scrutin pour l’élection du chef de l’exécutif annoncé le 31 août par Pékin et jugé antidémocratique. Bien que les autorités centrales disent vouloir accorder aux sept millions d’habitants de la région la possibilité de choisir leur prochain haut fonctionnaire, le cadre ne permettra, en fait, qu’à deux ou trois candidats pro-Pékin de se présenter.
La télévision chinoise évoque des manifestations pro-gouvernementales
Routes bloquées, banques et écoles fermées, des dizaines de milliers de manifestants défilent depuis vendredi et des milliers occupent les rues le soir. Les interventions rapides et brutales de la police qui a fait usage de gaz lacrymogènes ont donné lieu à des affrontements dans les rues commerçantes, où se côtoient les enseignes Prada et Gucci, entraînant l’arrestation de plus de 70 personnes. Contre les gaz lacrymogènes, les manifestants dégainent leurs parapluies, boucliers dérisoires qui a permis aux observateurs de qualifier l’insurrection pacifique de « révolution des parapluies ».
En riposte à la violence policière, la Fédération des syndicats étudiants a appelé à un boycott des cours pour toute la semaine prochaine. La Fédération des syndicats de Hong Kong a lancé un appel à la grève des employés, et l’Union des professeurs de Hong Kong à une grève générale des enseignants de la ville. L’organisation, qui compte environ 90 000 membres, a même qualifié la police « d’ennemis du peuple ».
En de pareilles occasions, la promesse « un pays, deux systèmes » trouve là aussi ses limites. Quand Hong Kong se révolte, c’est bien Pékin qui dicte sa loi. Consigne a ainsi été donnée par le gouvernement chinois d’effacer toutes les informations sur les sites et réseaux sociaux qui feraient état d’une manifestation anti-gouvernementale et de tous les hashtags #OccupyCentral.
Alors que des photos et vidéos fleurissent sur Twitter, de nombreux internautes soulignent que la plateforme de partage de photos et vidéos Instagram est désormais indisponible. Les manifestants pro-démocratie s’adaptent et se ruent sur d’autres systèmes de messagerie pas encore identifiés par les autorités. Et si les télévisions de Hong Kong ont les yeux braqués sur les manifestants, la télé chinoise, elle, s’est contentée de faire état de rassemblements de quelques milliers de personnes… favorables aux décisions du gouvernement chinois. Un pays, deux informations…
Les marches de protestation et veillées nocturnes sont relativement fréquentes à Hong Kong, mais ce qui a commencé vendredi et se poursuivait encore lundi soir est sans précédent. Cela constitue un véritable casse-tête politique pour le nouveau dirigeant chinois Xi Jinping. Pékin craint autant les bavures policières qui alerteraient l’opinion publique internationale que le risque de diffusion d’un mouvement démocratique qui atteindrait la Chine continentale, tout en étant conscient que Hong Kong n’est justement pas la Chine et que ce que Pékin se permet en matière de répression et de surveillance policière sur le continent n’est pas possible sur l’île.
Les médias y sont libres, l’opposition politique s’exprime et si le monde économique et financier est largement favorable à la stabilité sociale, Pékin pourrait être tenu pour responsable d’une dégradation de la situation. Comme souvent, la presse officielle laisse transpirer l’état d’esprit qui règne au sein du Parti. Un article paru dans le Global Times le 28 septembre dénonçait « les forces radicales d’opposition » et estimait impossible de revenir sur la réforme politique mise en place. Sans doute que les autorités chinoises n’avaient pas vu venir une détérioration si rapide de la situation sur les questions des libertés politiques…
Cela fait pourtant un moment que les esprits s’échauffent. L’élection par un collège d’électeurs, le 25 mars dernier de Leung Chun-yin, un homme d’affaires proche de Pékin, avait déjà fait descendre des milliers de personnes dans les rues. Des manifestations autorisées par les autorités de Hong Kong.
« Un pays, deux systèmes », pour combien de temps ?
Dans une tribune rédigée en juillet, Chris Patten, le dernier gouverneur britannique de Hong Kong, qui jusque-là s’interdisait de commenter la situation politique hong-kongaise, avait appelé le pouvoir chinois à une certaine prudence, critiquant vivement les dirigeants chinois qui refusaient de reconnaître les aspirations de l’opposition politique de Hong Kong. Chris Patten réagissait alors à la publication par Pékin d’un « Livre blanc » subtilement intitulé « la pratique de la politique “un pays, deux systèmes” dans la région administrative spéciale de Hong Kong ». Le document de 70 pages, disponible en français, établit, sans surprise, un bilan globalement très positif de cette rétrocession. « La politique « un pays, deux systèmes » a garanti le retour paisible de Hong Kong à la patrie » se glorifiaient les auteurs du « Livre blanc » : « Hong Kong s’est libéré de la domination coloniale et a retrouvé l’étreinte de la mère patrie, se plaçant ainsi sur la voie du développement commun avec la partie continentale de la Chine grâce aux avantages complémentaires des deux parties ».
Un constat valable au moment de la rétrocession qui s’est déroulée dans un climat d’euphorie sociale inattendue. Mais depuis, l’atmosphère s’est tendue et le « Livre blanc » le reconnaît. Surtout, il n’oublie pas de rappeler, à ceux tentés par la fronde, que « le haut niveau d’autonomie dont bénéficie Hong Kong n’est pas un pouvoir inhérent, mais provient uniquement de l’autorisation offerte par le gouvernement central ». Autrement dit : ce qui vous avez été généreusement octroyés pourrait aussi vous être repris. Preuve que le gouvernement n’a jamais envisagé de donner à Hong Kong ce qu’il refuse au reste de la Chine. Le porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois a résumé cela en une formule lundi — difficile à traduire en gardant la force du propos — : « Hong Kong is China’s Hong Kong » (« Hong Kong est le Hong Kong de la Chine »).
On en viendrait presque à se demander si une reprise en main autoritaire de Hong Kong n’a pas toujours été le seul et unique but du pouvoir chinois. Le 29 septembre, le ton de la presse officielle était encore plus menaçant, expliquant qu’en cas de défaillance de la police de Hong Kong, une intervention de la police chinoise ne serait pas « illégale ». Difficile de faire plus explicite même si le débarquement de bataillons anti-émeutes chinois à Hong Kong signifierait, dans le même temps, la fin de la fameuse promesse de Deng Xiaoping : « un pays, plus qu’un système » ?
Régis SOUBROUILLARD Journaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales En savoir plus sur cet auteur
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