Dans Prêt à tout, une comédie romantique gentillette, Aïssa Maïga est l’objet des convoitises d’un mytho glandeur qui fait fortune. Dans la vie, l’actrice de 38 ans suscite l’émoi de tous les genres de réalisateurs. Rencontre avec une femme pétillante qui compte également distiller son talent dans l’écriture.
Lepetitjournal.com : Dans une récente interview, vous disiez pouvoir aujourd’hui osciller entre des « rôles de blonde » et des « rôles d’Africaines dans leur village » ? Ici, c’est un vrai « rôle de blonde », non ?
Aïssa Maïga : Posons-nous la vraie question : qu’est-ce qu’une blonde ? Ce n’est pas la fille aux cheveux jaunes, mais la femme en général. D’après ce que je sais, les blagues sur les blondes viennent du Québec, là où les femmes sont appelées des « blondes ». Lorsque j’ai dit cela – il y a longtemps déjà ! -, il n’y avait donc rien contre les blondes. Et j’avoue que lorsque quelqu’un fait des blagues sur les blondes, je me sens également concernée ! Car en réalité ce sont juste des blagues sexistes (rires) !
Concernant la diversité des rôles, je me réjouis de tout ce que l’on me propose dans la mesure où pendant des années, qui m’ont paru très clichées. Aujourd’hui, je peux naviguer entre une cinématographie africaine avec Alain Omis ou Abderrahmane Sissako, et tourner avec Nicolas Cuche, Cédric Klapisch, ou Claude Berri… Il y a également une diversité artistique qui fait que l’on m’appelle aussi bien pour des drames que pour des comédies. Cela me donne une liberté de choix.
Avez-vous senti un déclic qui a conduit à cette liberté de choix ?
Deux films ont constitué un tournant. Les Poupées Russes de Cédric Klapisch en 2004 d’abord. Le personnage de Romain Duris rencontrait des filles les unes après les autres, certaines sont sous différents aspects des femmes françaises, et je faisais partie de cette galerie de personnages. Le film a eu un beau succès et malgré mon rôle tout à fait secondaire, j’ai été vue par beaucoup de gens, du métier notamment. Certains venaient vers moi en disant qu’ils se réjouissaient que j’aie un rôle de française « normale ». Pour moi, cela était le signe qu’il y avait un vrai besoin de ça, que je n’étais pas la seule, avec mes copines comédiennes noires, à ressentir qu’il y avait un problème : un manque de représentation du réel dans le cinéma français. Le deuxième film est L’un reste l’autre part (2004) de Claude Berri. Le succès a été moindre malgré la présence de Daniel Auteuil, Pierre Arditi, Charlotte Gainsbourg et Nathalie Baye. J’avais un rôle équivalent aux leurs. L’impact n’a pas été très fort sur le public, en revanche, dans le métier il y a eu un avant et un après. Les directeurs de casting et réalisateurs m’appelaient, en m’envisageant dans des personnages tout court.
Peut-on dire qu’aujourd’hui la carrière d’actrice que vous menez est conforme à celle que vous espériez ?
De ce point de vue là, oui. Les choses s’ouvrent pour moi. Après, de façon globale, je ne crois pas que la situation se soit améliorée. Il y a encore du retard. Certains metteurs en scène devraient se sentir autoriser à ouvrir leur imaginaire vers d’autres types d’acteurs pour que le film ressemble plus à la réalité française.
Cette comédie combine cette réalité – reprise d’une entreprise en faillite – et surréalisme total avec cet homme qui ment à tour de bras pour vous séduire.
La séduction par le mensonge… je suis comme mon personnage, c’est non. Dans le cadre du film ses mensonges sont touchants, évidemment. Mais je ne rêve pas d’un mec qui me baratine et me raconte n’importe quoi pour me conquérir ! (rires)
Les comédies romantiques éveillent-elles en vous un frémissement ?
J’aime bien le genre oui, mais pas de là à me jeter dessus quand elles sortent. Je retiens notamment Coup de foudre à Nothing Hill avec Hugh Grant et Julia Roberts. Même si je l’ai revu récemment et cela n’a pas très bien vieilli, contrairement à Pretty Woman. En tout cas, ici, pour Prêt à tout, je me suis tout de suite projetée dans le personnage.
Un personnage qui séduit son personnage, au départ par sa beauté. Avez-vous déjà « joué » du vôtre ?
Cette question ne m’a jamais intéressée. La beauté, le physique n’étaient pas des valeurs dans ma famille, ni un but, ni un moyen. Dans la famille, si nous devions nous distinguer, c’était par le travail, l’intellect. On m’a jamais dit : « oh la la, qu’est-ce que tu es belle ! », ou « fais-toi belle ». C’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de mon physique, au lycée. C’est arrivé du jour au lendemain avec plusieurs personnes qui se retournaient sur moi. Après, évidemment, je fais un métier où l’image compte beaucoup. Mais dans la pratique ce ne sont pas les gens beaux qui vont m’émouvoir. Moi je travaille, je fais mon boulot et les gens projettent ce qu’ils veulent. Cela ne me regarde pas !
Votre père était malien, votre mère sénégalaise. Comment vos deux pays d’origine vous ont-ils influencée ?
J’ai vécu au Sénégal jusqu’à mes quatre ans et demi, je n’ai donc que des images hyper fugaces en tête. Je n’y suis pas retournée que lorsque j’avais 25 ans. Le Sénégal fait partie de moi, il est de fait dans ma constitution, j’ai une sensibilité à la langue, à la culture, et à la nourriture. Même si je ne pense pas qu’il y ait besoin de venir de là-bas pour cela !! (rires). Mais j’ai davantage de liens avec le Mali. J’y allais pendant les vacances, et j’y vais encore aujourd’hui. J’ai des liens avec ma famille, mes amis, et des souvenirs plein la tête. Dans mon ressenti quotidien, il y a comme une espèce de dimension chez moi, secrète, que les autres ne perçoivent pas. Le Mali me manque, j’ai une espèce de sensation d’absence. Et je ne peux pas le partager en famille. C’est comme si je n’avais pas la légitimité de ça : « tu n’as pas grandi là-bas, tu ne peux pas comprendre… ». Comme si je ne pouvais avoir accès à ce pays. C’est présent dans ma vie, j’ai une préoccupation en moi.
La France vous manque-t-elle lorsque vous êtes au Mali ?
Je ne suis là-bas pour suffisamment de temps pour que la France me manque. En revanche, lorsque je rentre, je suis contente de retrouver la tablette de chocolat.
Et puis au-delà de la France, j’adore Paris. Cette ville me passionne, elle est pleine de richesses et d’imperfections qui en font un endroit plein de défis.
J’ai l’impression que vous auriez du mal à vivre en vraie expatriée…
Je tourne à l’étranger mais ce n’est pas une vraie vie d’expatriée car l’on ne s’installe pas. Je suis très adaptable, j’aime découvrir des pays. Quelques endroits de cinéma me font rêver : New York, Los Angeles, la Chine, l’Afrique du Sud. La Russie aussi, s’ils n’étaient pas aussi racistes. Je n’ai pas peur des autres cultures, j’ai une aptitude particulière pour les langues. Je parle anglais, italien, français, un peu de langues maliennes mais je ne les pratique pas assez souvent, j’ai également étudié l’arabe, et fais un peu d’allemand. J’irai bien vivre à Berlin d’ailleurs, même si c’est devenu banal de dire ça !
Pensez-vous que la France fasse aujourd’hui rêver les Africains ?
Je ne crois pas. Le traitement qui a été réservé aux migrants depuis plusieurs années, la montée du Front National, et la crise qui s’est installée sont des éléments qui font que la jeunesse africaine, pas seulement malienne, rêve d’ailleurs aujourd’hui. Du Québec par exemple. Même s’il fait très froid !
Vous sentez-vous à un tournant de votre carrière ?
J’ai toujours su que je ne serai jamais uniquement une comédienne. Acteur, c’est s’inscrire dans le projet des autres, être tributaire des autres. Et j’ai toujours senti que je devais écrire, mais c’était très torturé. Mon père était un journaliste malien très engagé, et il est mort empoisonné sans que cela ne soit vraiment élucidé. Pour moi, la question de l’écriture s’était mêlée à de la gravité, et, surtout, à une question de vie ou de mort. Mais je l’ai su bien plus tard. Je ne savais pas l’exprimer. Je pense qu’aujourd’hui je me suis émancipée d’une partie de mon histoire. La mauvaise selon moi, celle qui fait stagner, qui fait culpabiliser. En revanche, ce dont je suis éminemment heureuse aujourd’hui est le fait de ressentir le fait que je fais quelque chose de mon histoire. J’accepte profondément qui je suis, et depuis cela m’a amené à l’écriture. Je ne suis jamais cru capable d’écrire ce que j’écris, d’avoir un tel niveau littéraire. Je suis en train de finaliser une tragédie pour le théâtre. Mais je ne m’emballe pas, je suis une toute jeune auteure, je vais encore apprendre.
Source : www.lepetitjournal.com