Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, j’ai eu l’occasion, d’entendre, à satiété, ce slogan : «Laissez Tsahal vaincre !». Nombre de jeunes gens qui citent ce slogan sur leur page Facebook…
Un jeune israélien habitant dans l’enclave juive de Tel Romeida à Hébron, regarde passer un char de Tsahal, le 22 juin 2003. (Photo : TUVIA BENYITZHAK.AFP)
Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, j’ai eu l’occasion, d’entendre, à satiété, ce slogan : «Laissez Tsahal vaincre !». Nombre de jeunes gens qui citent ce slogan sur leur page Facebook sont persuadés qu’il vient d’être inventé en l’honneur de l’opération à Gaza, mais je suis suffisamment âgé pour me souvenir des circonstances de sa naissance : au début, comme autocollant pour véhicules, ensuite comme leitmotiv. Ce slogan, bien sûr, n’est pas brandi à l’intention des gens du Hamas ou des citoyens européens ; il est destiné à ceux qui vivent ici, et il trahit la vision du monde maudite qui a inspiré Israël au cours de ces douze dernières années.
Le premier présupposé erroné qu’il dissimule, c’est que certains, en Israël, empêcheraient l’armée d’obtenir la victoire et, en conséquence, le calme et la quiétude espérés.
Qui sont ces saboteurs de l’ombre ?
Peut-être moi-même, mon épouse, ou tout individu qui pense différemment et, ainsi, entrave, encore une fois, notre armée toute-puissante dans son élan vers la victoire. Tous ces hurluberlus qui soulèvent des doutes et des questions sur la manière d’agir du gouvernement et lient les mains robustes de l’armée, avec leurs articles démoralisants et leurs appels défaitistes en faveur de l’humanité et de l’empathie, tous ceux-là sont l’ultime obstacle entre Tsahal et la victoire absolue qui apportera le calme désiré.
Le second propos, et le plus dangereux, que ce slogan cache, est que Tsahal puisse vaincre. «Nous sommes prêts à encaisser tous ces missiles, sans aucun répit, affirme, l’une après l’autre, chaque famille du sud du pays interviewée. Mais qu’on en finisse une fois pour toutes…»
Douze années. Cinq opérations face au Hamas. Et nous restons là, coincés avec le même slogan foireux.
Les enfants qui, lors de l’opération «Muraille de défense», étaient au cours préparatoire, sont aujourd’hui les fantassins qui pénètrent à Gaza par la voie terrestre. Et, lors de chacune de ces opérations, il se trouve toujours des politiciens de droite et des experts militaires pour s’exclamer : «Cette fois, il ne va pas falloir prendre des gants et aller jusqu’au bout !» Et, à les observer sur l’écran télé, on ne peut pas ne pas s’interroger : «Vers quel bout espéré se dirigent-ils ?». Car, même si on liquidait les combattants du Hamas un par un, quelqu’un croit-il vraiment qu’avec eux serait liquidée l’aspiration du peuple palestinien à une indépendance nationale ? Après tout, avant le Hamas, nous avons combattu l’OLP et, après le Hamas, si tant est que nous soyons encore ici, nous aurons à lutter contre une nouvelle organisation palestinienne.
Certes, Tsahal peut vaincre au combat, mais offrir le calme et la sécurité aux citoyens d’Israël, seul un compromis politique pourrait y réussir, en fin de compte. Sauf que cela, à en juger par les forces patriotiques qui orchestrent la campagne actuelle, il est interdit de le proclamer car ce genre de propos, c’est ce qui, précisément, empêche Tsahal de vaincre.
Et c’est pourquoi, somme toute, lorsque l’opération s’achèvera et qu’on comptera les nombreux cadavres, chez nous comme de l’autre côté, un doigt accusateur sera à nouveau pointé dans notre direction.
Cette erreur est tragique.
Parce qu’elle a un prix : la vie de nombreux êtres humains. Erreur d’autant plus coupable, qu’elle se répète sans fin. Cinq opérations à Gaza, un nombre énorme de cœurs ont cessé de battre, et nous, nous en sommes toujours au même point. Parfois, il semble que la seule chose qui évolue chez nous, ce soit la tolérance de la société israélienne à la critique. Au cours de la dernière opération, nous avons été témoins que, concernant la notion troublante de «liberté d’expression», les ressources de patience de la droite se sont épuisées : au cours des deux dernières semaines, des manifestants de gauche ont été roués de coups de gourdin par des gens de droite. Des pages Facebook intitulées «Mort aux gauchistes» se sont ouvertes, lançant toutes sortes d’anathèmes bizarres contre tous ceux dont l’opinion est suffisamment discordante pour retarder l’équipée triomphale de Tsahal.
En fait, la voie sanglante que nous empruntons d’opération en opération n’était pas un cercle vicieux, comme nous le croyions. Cette voie est une spirale.
Et la direction, que cette spirale nous désigne, s’enfonce vers le bas, vers de nouveaux abîmes dans lesquels, à mon regret, nous aurons encore l’occasion de sombrer.
Dernier titre paru en français : «Sept années de bonheur», trad. de l’anglais par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet, éditions de L’Olivier, 2014.
Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.
Source : Libération