Dès son accession au trône, le 23 janvier 2015, après la mort de son frère, le roi Abdallah, dont il était le ministre de la Défense et l’homme de toutes les décisions, le roi Salmane bin Abdelaziz al-Saud a imposé un tournant militaire en matière de politique étrangère. Avec pour objectif de devenir la puissance dominante du monde arabe et musulman, quitte à en usurper le leadership, et en se présentant comme le soi-disant porte-parole du sunnisme face au voisin iranien.
Le 25 mars 2015, avec l’accord tacite des puissances occidentales et en bénéficiant de la mollesse de l’Onu, l’Arabie saoudite lançait au Yémen l’opération Tempête de la fermeté, qui s’est muée en opération Restaurer l’espoir. À la tête d’une coalition de quelques pays musulmans sunnites mercantiles, Riyad utilisait pour la première fois les avions de combat Rafale achetés à la France, dans des raids aériens contre les rebelles houthis, la coalition disposant de près de 200 avions de combat. L’objectif était de remettre au pouvoir le président provisoire démissionnaire Abd Rabbo Mansour Hadi, élu pour deux ans, réfugié à Riyad pour fuir les rebelles houthis, alliés de circonstance de l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Celui-ci dispose encore d’une influence décisive au sein des forces armées et de sécurité.
Depuis son exil saoudien, le président fugitif est devenu la marionnette des Saoudiens qui l’utilisent comme alibi pour combattre leurs alliés d’hier. Décrivant ceux-ci comme des pro-Iraniens, ils réinstallent à Sana un régime vassal dominé par les forces tribales proches des Frères musulmans et des courants takfiris.
L’affaire devait être rapidement réglée. Deux ans plus tard, malgré les bombardements massifs qui ont provoqué une catastrophe humanitaire – famine, manque d’eau potable, exode, milliers de morts, destruction des infrastructures –, les houthis et leurs alliés sont toujours là et menacent directement le territoire saoudien par des incursions. Riyad s’embourbe dans le conflit, toutes les négociations de paix ayant échoué. Profitant de ce chaos, Al-Qaïda et Daech multiplient les actions dans le sud du pays, qui aspire à la sécession.
En Syrie, le rêve saoudien s’est également effondré. Malgré les milliards de dollars misés sur la case « renversement de Bachar al-Assad », malgré un soutien sans limites au terrorisme en Syrie, avec l’accord actif de Washington, Paris, Londres et leurs supplétifs, la seule « victoire » dont Riyad peut se prévaloir, cinq ans et 300 000 morts plus tard, est d’avoir obtenu, sur pression des États-Unis et de la Turquie, que les hommes armés puissent sortir d’Alep. Désormais, le règlement de la crise syrienne est entre les mains de la Russie, de la Turquie et de l’Iran. Un cauchemar pour la monarchie.
Enfin, en septembre 2016, l’Arabie saoudite capitulait face à ses partenaires de l’Opep, après avoir refusé unilatéralement de geler la production de brut et avoir adopté une stratégie de surproduction en vue d’affaiblir son rival iranien. Cette stratégie a obligé la monarchie, dépendante des revenus issus du pétrole, à prendre des mesures d’austérité impopulaires sans précédent.
À l’intérieur, la colère gronde parmi les travailleurs étrangers (10 millions, soit un tiers de la population) mal payés et parfois non payés depuis près d’un an. Et le scepticisme grandit à propos du projet économique Vision 2030 du prince héritier en second, le propre fils du roi Salmane. Quant au constat d’échec des opérations guerrières du royaume, il ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Tous ces éléments constituent autant de fragments éparpillés des rêves brisés d’une monarchie wahhabite qui n’a jamais été autant fragilisée. Beaucoup prévoient sa chute. Elle entraînera avec elle la myriade des organisations wahhabites dans le monde grassement financées par l’argent saoudien.