Selon un sondage d’opinion publié en Israël, deux tiers des Israéliens soutiennent toujours la “solution à deux États”… C’est sans doute la raison pour laquelle ils élisent systématiquement en grande majorité des hommes politiques qui y sont farouchement opposés (même si quelques uns prétendent le contraire, de temps en temps). A moins que l’explication ne réside dans le fait que ce sondage a été commandité par “J Street”, un groupe de pression étatsunien de “sionistes progressistes” (le premier lecteur qui repère l’oxymore gagne un accès gratuit au site).
En tous cas, il paraît que même les électeurs du Likoud et du parti Kulanu sont plus favorables à “la séparation” (2 États) qu’à l’annexion de la Cisjordanie par Israël.
Si on en croit Judy Maltz, dans Haaretz, «en dépit de la perception très répandue dans l’opinion selon laquelle la “solution à deux États” au conflit israélo-palestinien est pratiquement condamnée, et qu’une part grandissante de l’opinion israélienne serait favorable à l’annexion de la Cisjordanie, un nouveau sondage montre qu’une forte majorité dans le pays est toujours favorable à un État palestinien indépendant».
Évidemment, aucune indication n’est donnée sur l’idée qu’ils se font de cet État, que leurs dirigeants – s’il ne pouvaient vraiment l’éviter – verraient assez bien sous la forme d’un bantoustan confiné dans une sorte de placard à balais, et dépourvu de tous les attributs qui généralement caractérisent un État dans le monde moderne.
Les sondages de J Street
Le sondage a été réalisé par l’institut Smith Consulting – “un institut israélien respecté”, précise Haaretz – au cours de la première quinzaine de janvier, juste après le discours du Secrétaire d’État U.S. John Kerry, qui avait mis en évidence les responsabilités d’Israël dans l’absence de progrès vers la paix. Comme déjà indiqué plus haut, il a été commandité par J Street. 500 Israéliens, tant Juifs qu’Arabes, ont été interrogés [1]
Selon les résultats de l’enquête d’opinion, 68% des Israéliens “soutiennent une solution à deux États”. Il y a deux ans, une enquête d’opinion également commanditée par J Street faisait apparaître une majorité de 62%.
Parmi les Juifs israéliens, 66% affirment être en faveur de la “solution à 2 États”. Les personnes interrogées étaient invitées à préciser pour quel parti elles avaient voté lors des élections générales de 2015. Une très forte majorité de ceux qui ont voté pour les partis classés au centre ou au centre-droit se disent favorables à la “solution à 2 États” et donc à la création d’un État palestinien.
83% des électeurs du parti Kulanu, qui fait partie de la coalition au pouvoir, sont dans ce cas. Il en va de même pour 81% des électeurs de Yesh Atid, actuellement dans l’opposition. Et même parmi ceux qui ont voté pour Benjamin Netanyahou et le Likoud, 63% se disent favorables à “partager la terre”.
C’est seulement parmi les électeurs des partis religieux qu’on trouve une claire majorité “en faveur d’une solution à un seul État”. 61% des électeur du parti nationaliste-religieux Habayit Hayehudi – le parti le plus fortement lié au mouvement des colons de Cisjordanie – sont de cet avis, ainsi que 59% de ceux qui votent pour les partis ultra-orthodoxes.
Parmi les électeurs de l’ex-parti travailliste, rebaptisé “Union Sioniste”, et du Meretz, plus de 90% se disent en faveur d’un État palestinien indépendant.
Dans une autre question, les personnes interrogées étaient invitées à donner leur avis sur une “solution permanente” telle que John Kerry en a esquissé les grandes lignes :
– retour aux frontières de 1967 [2] avec des échanges de territoires [3];
– déclaration de Jérusalem [4] comme capitale partagée des deux États, l’un “juif” [5] et l’autre palestinien;
– solution aux revendications des réfugiés palestiniens principalement sous la forme de paiement de compensations [6]
Une majorité des personnes interrogées (58%) affirment qu’elles voteraient en faveur d’une telle solution si un referendum avait lieu. Parmi les Juifs, la majorité est de 55%.
La semaine dernière, le “Israel Democracy Institute” avait publié une enquête aux résultats assez différents dans son “Peace Index” périodique. A la question de savoir s’ils adhéraient à l’affirmation de John Kerry selon laquelle Israël ne pourrait pas, à défaut de mettre en œuvre la “solution à 2 États” rester à la fois un État “juif et démocratique” (c’est le deuxième oxymore dans cet article), seulement 35% répondaient positivement et 54% répondaient négativement. Et quant à la question de savoir si l’annexion de la Cisjordanie serait “un désastre” (comme l’avait affirmé un député du Likoud), seule une majorité de 50,5% approuvait.
Enfin, 63% se disaient favorables à des négociations avec les Palestiniens, tandis que 30% y étaient opposés. On sait cependant que pour les dirigeants israéliens de telles négociations doivent avoir lieu “sans conditions préalables”, ce qui signifie en clair sans arrêt de la colonisation (pendant qu’on discute l’un des protagonistes s’empare de l’objet de la discussion), et sans s’embarrasser du droit international (et en particulier des résolutions de l’ONU).
Au moment de la publication de l’enquête d’opinion patronnée par J Street avait lieu à Paris une parodie de conférence de paix, contre laquelle plus d’un millier de sympathisants d’Israël ont manifesté à l’appel du CRIF et d’autres organisations juives pour affirmer que personne ne peut “dicter quoi que ce soit” à Israël. La bonne nouvelle est que les organisateurs avaient affiché avec confiance qu’ils comptaient réunir “plus de 5.000 personnes”. C’est donc un échec retentissant.
Notes
[1] c’est un échantillon assez faible : aucun sondage portant sur un aussi petit nombre de personnes n’atteint une marge d’erreur inférieure à ±5% (en plus ou en moins) et pour réduire cette fourchette de moitié il faut multiplier le nombre de personnes interrogées (et donc le coût du sondage) par 4. Encore faut-il que toutes les règles de l’art soient respectées, ce qui est rare. Voir “Sondages, Indices, Statistiques – La Force scientifique du mensonge”, J-L Boursin – Ed. Tchou 1978 – ISBN 2710700786 – NDLR
[2] la “frontière” de 1967 n’en a, en droit, jamais été une puisque Israël n’a jamais accepté de définir ses propres frontières, l’ambition commune de tous ses gouvernements successifs depuis 1948 ayant toujours été de les repousser le plus loin possible. La “ligne verte” était une ligne d’armistice, pas une frontière. – NDLR
[3] Lorsque, au cours de négociations inabouties, cette question a été abordée, Israël a toujours proposé aux Palestiniens des étendues de désert en échange de terres fertiles qu’il a déjà de facto annexées en dessinant le contour sinueux de son prétendu “mur de sécurité” qui sur la majorité de son tracé est en Cisjordanie.
[4] Israël a annexé la totalité de Jérusalem, a déclaré que la ville était sa “capitale éternelle et indivisible” et en a étendu les limites loin en territoire palestinien, confisquant de la sorte d’importantes étendues en Cisjordanie – NDLR
[5] La population vivant en Israël, et détenant la citoyenneté israélienne, n’est pas homogène et compte ±21% de Palestiniens en majorité musulmans, des Chrétiens, des Druzes,… – NDLR
[6] Le paiement de compensations est prévu par la résolution 194 de l’ONU pour les réfugiés qui choisiraient de “ne pas regagner leurs foyers” et non pour ceux à qui Israël ne permettrait pas de le faire. Il s’agit d’un droit individuellement détenu par chaque personne concernée, auquel selon des juristes qualifiés en ces matières, aucun dirigeant politique n’est fondé à renoncer en leur nom. Il est évident par ailleurs que l’hypothèse d’une solution purement financière vise à faire payer par d’autres qu’Israël les conséquences de son colonialisme et de ses guerres d’agression à répétition : les USA et l’Union Européenne sont, selon des modalités diverses, accoutumées à ce rôle et font depuis longtemps supporter par leurs contribuables l’essentiel du prix de la conquête coloniale de la Palestine – NDLR
Légende : Dans la vraie vie, les manifestations haineuses envers les Palestiniens et aussi envers les “migrants” se sont multipliées dans les rues de villes israéliennes, avec des slogans comme “tuez-les tous”…
Source : Pour la Palestine