Selon Noam Chomsky la montée du racisme, de l’islamophobie et de la xénophobie dans le monde, dont l’élection de Donald Trump a été le révélateur, est une conséquence du néolibéralisme.
On peut distinguer plusieurs facteurs, mais certains sont communs aux États-Unis et à l’Europe. L’un de ces facteurs, très significatif, est le programme néolibéral qui a été appliqué dans le monde, il y a environ trente-cinq ans, vers 1980 ou un peu avant, et qui s’est développé ensuite. Ces programmes ont été élaborés de telle manière qu’ils ont marginalisé et mis de côté une majorité considérable de la population. Ainsi, observez les électeurs de Trump aux États-Unis. Ce ne sont pas les plus pauvres. Ils ont une maison, un travail et des petits business. Ils n’ont peut-être pas le travail qu’ils voudraient, mais ils ne meurent pas de faim et ne vivent pas avec deux dollars par jour. Ce sont des gens qui ont été malmenés pendant trente ans. Leur histoire et leur propre image de la vie, de l’histoire et du pays est qu’ils ont travaillé dur toute leur vie, ils ont fait tout ce qu’il fallait. Ils ont une famille, ils vont à l’église et ils ont fait tout ce qu’il fallait comme l’avaient fait leurs parents. Ils sont allés de l’avant et pensaient continuer. Leurs enfants devaient réussir mieux encore qu’eux, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Tout s’est arrêté. Comme s’ils étaient stoppés dans leur élan. Mais, devant eux, dans la course, il y a des gens qui ont jailli dans la stratosphère : c’est le néolibéralisme. Il concentre la richesse dans des secteurs minuscules. Cela ne les a pas préoccupés, car la mythologie américaine veut que si vous travaillez dur, vous serez récompensé. Cela ne se passe pas comme ça, mais c’est conforme à la mythologie. Ils en veulent à ceux qui sont derrière eux. Ce n’est pas atypique, c’est le concept de bouc émissaire. Accuser ceux qui sont pires que vous de vos problèmes. Ils considèrent le Gouvernement fédéral comme leur ennemi, car il favorise ceux qui sont derrière eux. Le Gouvernement fédéral donne des bons alimentaires à des gens qui ne veulent pas travailler, il donne des allocations à des femmes qui se rendent aux bureaux d’aide sociale dans des belles voitures. Ce sont les images concoctées par Ronald Reagan. Ils pensent : « le Gouvernement fédéral les aide à passer devant moi, mais personne ne fait rien pour moi ». Cette image est présente dans tout l’Occident. On la trouve, en grande partie, derrière le vote Brexit. Aux États-Unis, ils accusent les migrants mexicains, ou les Afro-Américains, au Royaume Uni, ce sont les émigrés polonais, en France les Nord-Africains et en Autriche, les Syriens. Le choix de la cible dépend de la société, mais le phénomène est très similaire. Il y a des tendances au racisme, à la xénophobie, au sexisme et une opposition aux droits des homosexuels, et toutes sortes de choses. Et tout converge lorsque la politique économique et sociale est conçue de manière à ignorer ces gens et leurs problèmes, et ne se préoccupe pas d’eux, voire joue contre eux.
L’isolationnisme
Le mot « isolationnisme » est curieux. Prenez l’exemple des récentes nominations faites par Donald Trump, celles qui sont importantes. La plus importante est celle de Michael Flynn au poste de Conseiller en stratégie nationale. C’est un islamophobe radical. Il pense que nous devrions entrer en guerre avec tout le monde islamique. Et selon lui, l’Islam n’est pas une religion, c’est, avant tout, une idéologie politique comme le fascisme, qui est en guerre contre nous et que nous devrions détruire. Est-ce ça l’isolationnisme ? Donald Trump, Paul Ryan et autres représentants de la droite dure, pensent que nous devrions renforcer fortement le Pentagone. Ils parlent de nos « forces militaires affaiblies ». Je ne sais pas s’il faut en rire. Les États-Unis dépensent pour la Défense autant que l’ensemble du reste du monde. Ils sont les plus avancés technologiquement. Aucun pays n’a des centaines de bases militaires sur la planète, et nos forces sont en réalité en train de combattre partout dans le monde. Mais « nous sommes une force militaire affaiblie et tout le monde est sur le point de nous attaquer, nous devons renforcer notre armée ». Est-ce ça l’isolationnisme ? Nous devons faire la guerre économique contre les autres pays, est-ce ça la non intervention ? Non, bien sûr. C’est un vulgaire impérialisme masqué par une fausse préoccupation des travailleurs et de la classe moyenne. Ses nominations de ministres reflètent-elles une telle préoccupation ? Ils sortent directement de Wall Street et de Goldman Sachs. Regardez la Bourse, elle vous dit comment ceux qui ont le pouvoir évaluent leur présidence. Elle a explosé dès son élection. Les institutions financières ont bondi. Le géant mondial du charbon, Peabody, qui était en faillite, a vu ses actions exploser de 50% dans les jours qui ont suivi son élection. L’industrie militaire, les industries de l’énergie, pharmaceutiques, etc, elles sont toutes montées au ciel. Est-ce une illusion ? Non. C’est la politique. L’urgence n’est pas tant les pauvres, mais les travailleurs qui ont souffert, pas dans le sens d’une réelle et profonde pauvreté, mais souffert dans le sens d’une perte de statut, une perte de dignité, et une perte d’espoir dans le futur. Aux États-Unis, cela se combine avec un fait objectif. Ce pays est construit sur la suprématie blanche extrémiste, dont la comparaison avec la suprématie blanche dans le monde place les États-Unis en tête, même par rapport à l’Afrique du Sud blanche. Or, aujourd’hui, la population blanche est en train de devenir minoritaire.
Les raisons de la suprématie et de l’islamophobie ne sont pas le seul fait des États-Unis. Elles sont différentes selon les endroits. En Inde, c’est la monté du nationalisme hindou qui est extrêmement dangereuse. Il y a, semble-t-il, une alliance en construction entre ces forces xénophobes d’extrême droite dans le monde. Regardez les réactions à l’élection de Donald Trump dans le monde, et l’enthousiasme de l’extrême droite partout. En fait, son premier contact a été avec Nigel Farage, le chef de l’UKIP en Angleterre, et cela a continué comme ça. Il y a des traits communs, mais différents facteurs dans les différents pays. En Inde, ce sont les Musulmans, aux États-Unis, aussi. Mais il y avait aussi les Mexicains etc.. Cependant, je pense que l’on voit à travers le monde le même échec des grandes institutions de l’Establishment à traiter les vrais problèmes des gens.
Islamophobie et bouc émissaire
La peur de l’Islam est-elle infondée ?On pourrait dire,non, pas totalement. Sous le régime nazi, on pourrait dire que la peur d’Hitler envers les Juifs n’était pas totalement infondée. Il y avait des riches banquiers juifs, des bolcheviques juifs. Tout système de propagande, peu importe sa grossièreté et son indignité, ne peut être efficace que s’il y a quelques éléments de vérité. Même s’ils sont ténus. À Boston, si vous écoutez « Talk Radio », la principale radio très à droite, vous entendrez des gens parler des réfugiés syriens et de la façon dont ils sont traités comme des princes. Qu’on leur a donné toute sorte d’argent, qu’ils sont soignés, éduqués. « Les réfugiés syriens ont tout ce que nous n’avons pas ». Combien y a-t-il de réfugiés syriens ? Quelque deux mille ! Mais ils reçoivent probablement des soins, et ce n’est donc pas tout à fait faux. Mais le cas typique de bouc émissaire est de choisir des gens vulnérables et de trouver quelque chose qui n’est pas totalement faux à leur sujet. Vous devez avoir des éléments de vérité pour en faire une montagne qui vous submergera. Il y a des États aux États-Unis, dans le Midwest, où le Parlement a voté des lois qui bannissent la Shari’a. Quelles chances y a-t-il pour que la Shari’a soit imposée en Oklahoma ? Il y en a… Vous pouvez trouver une femme quelque part qui porte un voile et vous tenez quelque chose. C’est comme ça que ça marche. Au Sri Lanka, il y a une histoire assez sale, après tout. Je ne vais pas en parler. Il y a des tas de cas d’atrocités massives et de crimes, etc… Un dirigeant et une administration démagogues qui ne travaillent pas dans l’intérêt de la population, mais dans celui de la richesse et du pouvoir, dirigeront de façon presque réflexive leurs attaques contre les vulnérables, avec le soutien des médias et, souvent, des couches intellectuelles. Ils insinueront des petits éléments de vérité dans l’attaque massive. Les États-Unis sont très intéressants de ce point de vue. C’est le pays le plus sûr et le plus sécurisé au monde, mais c’est probablement le pays le plus terrorisé au monde. Connaissez-vous un autre pays où les gens pensent que s’ils ne prennent pas un fusil pour aller à l’église ou au restaurant, ils pourraient être attaqués ? Est-ce comme ça au Sri Lanka ? Non ! Est-ce comme ça ailleurs ? Mais c’est comme ça aux États-Unis d’Amérique. Dans tout le pays, les gens sont terrifiés, « ils nous poursuivent ! », et cela remonte à l’histoire de l’Amérique, à ses racines historiques.
L’Islam entité monolithique ?
Prenez la politique américaine ou britannique envers l’Islam. Elle a fortement soutenu ses éléments les plus radicaux. C’est vrai des Britanniques et c’est vrai des Américains, depuis qu’ils leur ont substitué les commandes. Donc, qui est l’allié principal des États-Unis dans le monde islamique ? L’Arabie saoudite, l’état peut-être le plus extrémiste, radical, fondamentaliste au monde. Et, sans aucun doute, un État du monde islamique. Un État missionnaire qui utilise ses immenses ressources pour financer ses extrémistes wahhabites à travers les Madrasas et autres. C’est la principale source du djihadisme. Cet allié principal est monolithique. Tout pouvoir d’État – et la propagande avec – recherche ce qui soutiendra son intérêt. Ici, c’est la politique impérialiste. Si son intérêt s’avère être l’Islam radical, c’est bon. En même temps, nous pouvons être en train de combattre l’Islam radical ailleurs. Le système de propagande va créer des images de la terreur islamique essayant de nous détruire, si l’Islam peut servir de bouc émissaire. Il y a eu le 9/11 et il y a eu les atrocités des Tigres Tamouls. Vous pouvez utiliser les deux pour construire la peur, la colère et l’anxiété, pour soutenir la tendance à se cacher de ces forces sur le point de nous détruire, derrière la protection du pouvoir. Comme la loi sur la Shar’ia en Oklahoma, « protégez-vous ! ».
Où en est la gauche progressiste ?
En termes de votes exprimés, Clinton a gagné assez facilement. Mais, et c’est encore plus intéressant, si on regarde le vote des plus jeunes, Clinton a gagné de façon écrasante, mais Sanders a gagné de façon encore plus écrasante. Voilà quelqu’un qui est sorti de nulle part, sans soutien financier, sans riches sponsors, sans soutien d’entreprises, avec des médias qui lui étaient opposés à 100%, pratiquement inconnu, parlant de « socialisme » qui est un vilain mot, et qui gagne de façon écrasante le soutien des jeunes. Certes, les circonscriptions qui l’ont soutenu n’ont pas d’argent, de pouvoir, de sponsors etc… Pourquoi une majorité écrasante de jeunes soutiennent Bernie Sanders ? Ils défient le status quo. Ils n’ont pas la richesse, le pouvoir militaire, le soutien des entreprises, celui des médias, et aucun soutien de la part des intellectuels. Mais ils défient le status quo, tout le temps. (…)
Extraits de l’interview accordée au Daily Mirror du Sri Lanka.
Source : https://chomsky.info/20161214/)
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
Photo : Noam Chomsky reçu à Beyrout par le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah après l’échec de l’agression israélienne contre le Liban en 2006