Les frappes aériennes saoudiennes et alliées contre le Yémen peuvent être qualifiées de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». C’est ce qui ressort du rapport annuel de la commission d’observation du conflit au Yémen pour le Conseil de sécurité de l’ONU qui a examiné les attaques aériennes saoudiennes menées, depuis le 26 mars 2015, dans le cadre de l’opération dite « Tempête décisive ».
Si le rapport[1] des experts de l’ONU s’attache principalement, et de façon tout à fait partiale, à examiner les faits concernant les Houtis, c’est dans une dizaine d’annexes qu’il apporte les preuves indiscutables permettant d’accuser l’Arabie saoudite de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. De façon générale, les experts établissent que « de nombreuses attaques impliquent des frappes multiples sur des objectifs civils multiples ». Les « violations » par la coalition sont, dans de nombreux cas, effectuées d’ « une manière systémique et généralisée ». Les experts recommandent au quinze membres du Conseil de sécurité de mettre en place une commission d’enquête.
Le rapport des experts de l’ONU a, par ailleurs, « identifié un nouvel élan dans la mobilisation des groupes armés salafistes dans les zones urbaines, particulièrement à Aden et Ta’izz. » De nombreux groupes sont devenus plus extrémistes en réponse aux attaques des Houtis dans ces zones et « les religieux salafistes ont mobilisé des partisans locaux dans les environs des mosquées. » La présence accru d’État islamique en Irak et au Levant, au Yémen, a contribué au développement « de perspectives sectaires qui galvanisent aussi les groupes salafistes et les sympathisants d’al-Qaeda dans la Péninsule arabique », dit le rapport.
Les experts notent, également, que la fourniture d’armes « aux forces de résistance » par la coalition saoudienne « sans mesure adéquates pour en garantir la transparence », contribue, également, a l’accumulation incontrôlée des armes au Yémen. Les experts ne font pas référence aux ventes mirifiques d’armes et d’avions de combat par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, avant et depuis l’offensive saoudienne.
Concernant ce qui peut être qualifié de crime de guerre et contre l’humanité, le rapport détaille, dans quelques annexes, de façon très précise, documentée et fouillée, les opérations militaires saoudiennes illégales aux termes des lois internationales. L’annexe 52 rapporte un certain nombre d’attaques de la coalition sur des cibles civiles, des villes, des villages, des écoles, des mosquées, des monuments historiques, des usines, des centres de soin et des zones résidentielles, en 2015. L’annexe 53 liste les attaques par les forces aériennes de la coalition saoudienne, de rassemblements ou groupes de civils, des mariages et des funérailles, notamment. L’annexe 54 s’intéresse aux bombardements de bateaux de pêche et de dhows, ainsi que de marchés au poisson et de villages de pêcheurs voisins. Le 8 septembre 2015, deux bateaux de pêche indiens, l’Asmar et le Mustafa, faisant route de Berbera en Somalie à Mokha au Yémen, étaient, également, bombardés, sept membres d’équipage étaient tués. En octobre 2015, les forces de la coalition saoudiennes bombardaient les îles Oghbaan et de Kadmaan habitées par des pêcheurs, tuant plus de cent personnes.
Les frappes de la coalition saoudienne, ont, également, selon le rapport (annexe 55) touché des personnes déplacées et des réfugiés. Notamment le camp d’al-Mazrak, près de Harad dans le gouvernorat d’Hajjah, près de la frontière saoudienne. Le bilan s’élève à plus de cinquante morts et plus de 200 blessés, dont des femmes et des enfants. Les réfugiés qui venaient d’arriver, avaient fui les frappes aériennes sur Sada’a. Selon un membre d’ONG, il n’y avait eu ni frappe, ni combat à proximité du camp avant leur arrivée. L’entrée du camp, le centre de soin, la zone alimentaire et le centre administratif ont été détruits. « L’Arabie saoudite a ciblé l’un des quatre camps de réfugiés du district d’Harad tuant et blessant de nombreux résidents. Les frappes ont ciblé le camp 1 de la région de Mazrak qui abrite environ 4000 réfugiés ». Le rapport présente des photos satellites et de terrain qui ne laissent aucun doute sur la violence des attaques.
Interrogés par des membres du comité d’experts à Djibouti, des réfugiés ont témoigné que les frappes qui, au début, ne survenaient qu’à certains moments de la journée, « étaient rapidement devenues non-stop, nuit et jour ». En moins de trois mois, 226 bâtiments ont été détruits à Sa’dah. Les ports de Harradh et de Midi et leur zone urbaine, où ne se trouve aucune installation militaire, ont été également pilonnés. Des réfugiés venant d’Aden, ont, également témoigné que les frappes « tuaient tout le monde, femmes, hommes et enfants, avec des morceaux pointus de métal », soit des bombes à fragmentation ou à sous-munitions interdites.
Concernant la situation humanitaire au Yémen, les experts notent, pour l’année 2015, « un impacte dévastateur sur les civils ». Selon le rapport, « les civils sont affectés de façon disproportionnée par la conduite des hostilités du fait de l’utilisation systématique et généralisée de tactiques qui, dans la pratique, et directement dans certains cas, reviennent à l’utilisation illégale de la famine comme arme de guerre ». Les experts ont, particulièrement, analysé « l’obstruction commerciale et l’obstruction de l’aide humanitaire par la coalition » (Annexe 60). Ils se sont entretenus avec des représentants des agences de l’ONU, d’organisations humanitaires, d’ONG internationales et des droits humains, ainsi qu’avec des responsables gouvernementaux de plusieurs pays. Ils ont, également, disposé des rapports de transports maritimes de la Lloyds.
Selon le rapport, en juin 2015, seulement 15% du volume des importations d’avant la crise arrivaient au Yémen. Cinq jours après le début des frappes de la coalition saoudienne, en mars 2015, un blocus naval et aérien était mis en place par les Saoudiens, diminuant considérablement le débarquement des produits alimentaires, l’aide médicale, le diesel et le fuel. En avril, le blé et le fuel ne pouvaient plus être débarqués à Hodeidah du fait des bombardements par la coalition. Depuis, les bombardements n’ont pas cessé sur le port d’Hodeidah tenu par les Houtis. En juin 2015, la famine commençait à menacer une partie de la population. Les entrées des navires de commerce dans les eaux territoriales yéménites n’étaient autorisées qu’après une longue et sélective inspection par la coalition au passage de Bab-al-Mandab. La situation n’a cessé d’empirer depuis.
En outre, le bombardement des pistes et des bâtiments techniques et administratifs de l’aéroport de Sana’a et Hodeidah en 2015, qui ont fait de nombreuses victimes, a rendu impossible l’arrivée de l’aide médicale et humanitaires internationale. Le rapport note, également, les frappes aériennes de la coalition, le 18 avril 2015, sur le centre de soins de Médecins Sans Frontières à Huth (Amran), le 7 mai, à 150m de l’entrée de son hôpital à Aden, le 26 octobre 2015, sur sa clinique mobile à al Houban (Ta’izz) – alors que les autorités saoudiennes étaient régulièrement informées des coordonnées GPS -, et, le 2 décembre 2015, sur l’hôpital Haydan à Sada’a sous la responsabilité, à l’époque, de MSF. Le 16 août dernier, MSF décidait de retirer son personnel de six hôpitaux du nord du Yémen après un raid, le 11 août, contre une structure sous sa responsabilité. Dix-neuf personnes avaient été tuées et vingt-quatre blessées.
Le rapport analyse vingt frappes (il y en a eu beaucoup plus depuis), sur des installations médicales dans tout le Yémen, entre avril et octobre 2015. (Annexe 62).
Curieusement, l’annexe 63, intitulée « strictement confidentielle », n’est pas reproduite dans le document.
De façon générale, les annexes du rapport sur l’opération « Tempête décisive » qui s’embourbe, alors qu’elle devait être aussi expéditive que l’intervention américaine « Tempête du désert » en Irak, en 1991, donnent des informations extrêmement fouillées et complètes. Elles présentent un grand nombre de documents, photos satellites et de terrain, chiffres, graphiques et témoignages qui ne permettent pas d’avoir le moindre doute sur la qualification de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » de l’offensive militaire illégale de la coalition saoudienne et de ses alliées contre le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète.
En août 2016, John Kerry déclarait que « cette guerre doit prendre fin (…) le plus rapidement possible », mais le conflit se poursuit. L’agression du Yémen soutenue par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis qui ont vendu armes et conseillers à leur indéfectible allié saoudien, se solde aujourd’hui par près de 10 000 morts, principalement des civils, plus de 40 000 blessés et plus de deux millions et demi de déplacés. 80% de la population, selon le chef des opérations humanitaires de l’ONU, Stephen O’Brien, ont besoin d’aide alimentaire d’urgence. Le 29 janvier, le nouveau président américain, Donald Trump, s’entretenait avec le roi Salman d’Arabie saoudite. Ils se sont mis d’accord pour créer au Yémen et en Syrie, des « zones de sécurité » que l’administration Obama avait toujours refusées pour des raisons techniques. Jusqu’où ira Donald Trump dans son soutien à la criminelle monarchie wahhabite ?
[1]Final report of the Panel of Experts on Yemen established
pursuant to Security Council resolution 2140 (2014)
(https://www.securitycouncilreport.org )