Dimanche 31 janvier, au matin, Amjed Sakari, 34 ans et membre des services de sécurité palestiniens, s’est rendu en voiture à un check-point israélien réservé exclusivement au personnel de l’AP. Quand on lui a demandé de sortir sa carte d’identité, il est descendu de voiture et a ouvert le feu, blessant trois soldats israéliens. En guise de réponse, les FDI ont placé Ramallah, la capitale politique et financière de la Cisjordanie, sous un verrouillage quasi total.
Chauffeur et garde du corps du procureur principal palestinien, Sakari n’est que le deuxième membre des forces de sécurité de l’AP à commettre une agression depuis le début de la dernière vague de violence en octobre dernier. Le premier était Mazan Hasan Ariva, un officier des renseignements de l’AP, qui avait ouvert le feu sur un civil et un soldat israéliens au check-point de Hizma, près de Ramallah, en décembre dernier.
Comme le fait remarquer Amos Harel, il est trop tôt pour dire si les actes de Sakari et d’Ariva sont des présages de ce qui risque de se produire. Pourtant, l’intensité des faits politiques actuels requiert qu’on y arrête un instant.
Depuis le début de l’occupation en 1967 et jusqu’en 1993, Israël a été la seule puissance souveraine en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les accords d’Oslo ont produit une série d’arrangements politiques et économiques entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), parmi lesquels le plus important a été la création de l’Autorité palestinienne – un corps intérimaire d’auto-gouvernance créé pour superviser à la fois la sécurité et les questions civiles dans certaines parties de la Cisjordanie de même que dans la bande de Gaza.
Bien qu’elle n’ait pas été autorisée à avoir une armée, l’AP a pu créer ses propres forces de sécurité, y compris une police et un service de renseignement. Ces forces opèrent en tandem avec le Shin Bet et l’armée israélienne afin de déjouer d’éventuelles agressions contre les civils et les militaires israéliens, de même que pour empêcher toute insurrection contre l’AP dans les Zones A et B.
Oslo a couché sur papier un processus de plusieurs années accordant une autorité très fragmentaire aux Palestiniens des territoires occupés. En réalité, les divers gouvernements israéliens successifs ont utilisé l’AP pour faire sous-traiter les devoirs sécuritaires de l’armée israélienne par une force de police palestinienne naissante entraînée par des Américains. Pendant ce temps, l’entreprise d’implantation d’Israël s’est poursuivie en érodant le territoire palestinien contigu de la Cisjordanie déjà aux prises avec nombre de problèmes. Aujourd’hui, il y a un demi-million de colons israéliens au-delà de la Ligne verte et ils sont soutenus par l’un des gouvernements les plus favorables aux colonies de l’histoire d’Israël.
Les Palestiniens en Cisjordanie en sont venus à haïr leur propre gouvernement autant que la domination militaire israélienne. Selon un sondage publié en décembre par le Centre public palestinien de politique et de recherche, deux tiers des Palestiniens réclament la démission du président Mahmoud Abbas. En outre, le sondage révèle que, si des élections devaient se tenir aujourd’hui, un candidat du Hamas rival remporterait une victoire manifeste contre Abbas.
L’arrangement actuel sert à la fois le gouvernement israélien et les élites palestiniennes de Ramallah : Abbas peut utiliser ses forces de sécurité pour sévir contre la violence et la dissension émanant d’individus ou du Hamas. Pour Israël, Abbas est un bouc émissaire – un homme qu’on peut fustiger en raison de ses démarches unilatérales en quête d’une reconnaissance internationale ou chaque fois que la violence palestinienne reprend en Cisjordanie. Malgré tout ce que Netanyahou peut essayer de vous faire croire, le pouvoir d’Abbas est néanmoins la clef de l’avenir de l’occupation israélienne.
Ainsi donc, que font ces Palestiniens qui sont intégrés à l’appareil sécuritaire quand ils comprennent que la partie est arrangée d’avance – que ce sont eux qui exécutent contre leur propre peuple les tâches des forces occupantes ? Que font-ils quand ils comprennent qu’il n’y a en fait aucune issue ?
Un regard sur la page Facebook de Sakari nous permet de découvrir un aperçu de ce dilemme. Dans les premières heures de la matinée de dimanche, Sakari avait publié un statut Facebook dans lequel il déclarait que cela ne servait à rien de vivre « aussi longtemps que l’occupation opprimera nos âmes et tuera nos frères et nos sœurs ». La nuit d’avant, Sakari avait publié un autre statut disant « Chaque jour, nous apprenons les nouvelles d’un décès… Pardonnez-moi, je serai peut-être le prochain. »
Les Israéliens ont raison d’être effrayés par la perspective de nouvelles agressions de la part des gens mêmes qui sont chargés de les protéger. L’effondrement de l’AP n’est pas une impossibilité ; le nombre croissant de membres du service sécuritaire palestinien qui se retournent contre leurs suzerains israéliens, appuyés par une population civile agitée et déjà au bord d’une révolte populaire totale, pourrait mettre un terme à la « coordination sécuritaire » sur laquelle Israël s’appuie pour maintenir le statu quo. La question est de savoir si les dirigeants israéliens pourront jamais proposer une vision alternative qui accordera un pouvoir et une autorité véritables au peuple palestinien, et pas uniquement à leurs sous-traitants.
Pour la Palestine
Publié le 1er février sur 972mag
Traduction : Jean-Marie Flémal
Edo Konrad est écrivain, blogueur et traducteur. Il vit à Tel-Aviv. Précédemment, il a travaillé comme rédacteur à Haaretz et il est actuellement rédacteur en chef adjoint à +972 Magazine. On peut le suivre sur Twitter : @edokonrad
La police de l’AP tente d’empêcher des jeunes du camp de réfugiés d’Aida d’affronter les forces israéliennes. Bethléem, Cisjordanie, 27 septembre 2013. (photo : Ryan Rodrick Beiler/Activestills.org)