Le Président français Hollande condamne un « acte de guerre » d’État islamique (IS), mais en réalité, ses riches amis du Golfe sont des complices clé de ce chaos.
Après les attentats de ce weekend, à Paris, la question n’est pas de savoir quel groupe spécifique est responsable des attaques, mais qui est le principal responsable d’IS/ISIS et Al Qaeda. La réponse a émergé de plus en plus clairement au cours de ces dernières années : les dirigeants occidentaux qui ont utilisé des courants montant en puissance du monde musulman comme terrain de je militaire et versent maintenant des larmes de crocodiles sur les conséquences.
Ce modèle a été mis en place dans les années 1980 en Afghanistan ou la CIA et la famille royale saoudienne ont virtuellement inventé le djihadisme moderne pour pousser les Soviétiques dans une guerre style Vietnam dans leur arrière court. Ce fut le cas, également, en Irak, envahi par les États-Unis et la Grande-Bretagne en 2003, provoquant la guerre civile entre sunnites et chiites.
Aujourd’hui, c’est la même chose au Yémen où les États-Unis et la France aide l’Arabie saoudite dans sa guerre aérienne massive contre les chiites Houthis. C’est la même chose en Syrie, scène du jeu de guerre le plus destructeur de tous, où l’Arabie saoudite et d’autres États du Golfe déversent de l’argent et des armes à Al Qaeda, IS (également connu sous les noms ISIL,ISIS et Daesh) et des forces semblables, avec l’approbation des Américains.
Les dirigeants occidentaux ont encouragé cette violence qu’ils dénoncent, en même temps, d’une même voix. En avril 2008, un responsable du Trésor a témoigné devant une commission du Congrès. « L’Arabie saoudite reste l’endroit d’où part le plus d’argent vers les groupes terroristes sunnites et les Talibans, plus que de n’importe quel autre pays au monde. »
En décembre 2009, Hillary Clinton notait dans un mémo diplomatique confidentiel que « les donateurs saoudiens constituent la source la plus importante de financement des groupes terroristes sunnites au monde. » En octobre 2014, Joe Biden expliquait aux étudiants de l’Harvard’s Kennedy School que « les Saoudients, les Émirats, etc versent des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à quiconque combat contre Assad, sauf que les gens qui en bénéficient sont Al Nosra (les « amis » du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, « qui font du bon boulot sur le terrain » (Al Qaïda, NDT).
Le mois dernier, un journaliste du New York Times dénonçait les aides ininterrompues de l’Arabie saoudite, non seulement à Al Qaïda, mais également à IS.
Malgré les innombrables promesses de couper ces vivres, les robinets sont restés grand ouverts. Les États-Unis ont, non seulement approuvé de telles activités, mais y ont participé activement. En juin 2012, le Times écrivait que la CIA travaillait avec les Frères musulmans pour faire passer des armes turques, saoudiennes et qataris aux rebelles anti-Assad.
Deux mois plus tard, l’agence de renseignement du Pentagone rapportait qu’Al Qaïda, les Salafistes et les Frères musulmans dominaient le mouvement rebelle syrien, que leur objectif était la mise en place d’une « principauté salafiste dans l’est Syrien » où le califat d’IS est aujourd’hui installé, et que c’est « exactement ce que les puissances qui les soutiennent – l’Occident, les États du Golfe et la Turquie – veulent dans le but d’isoler le régime syrien ».
Plus récemment, l’administration Obama n’a fait aucune objection lorsque les Saoudiens ont approvisionné Al Nosra, la branche officiel d’Al Qaïda en Syrie, en missiles TOW de haute technologie pour soutenir son offensive dans la province d’Idlib au nord. Elle n’a rien dit lorsque les Saoudiens ont juré d’augmenter l’aide à de tels groupes en réponse à l’intervention russe visant à soutenir le régime Assad assiégé.
Il y a deux semaines, Ben Hubbard du Times notait que cinquante commandos américains des Opérations spéciales ont été infiltrés dans le nord de la Syrie pour soutenir les rebelles arabes qui avaient, auparavant, collaboré avec Al Nosra.
Bien que se disant éternels ennemis d’Al Qaïda, les États-Unis et leurs amis du Golfe travaillent, ainsi, main dans la main avec la même volonté. Cependant, aujourd’hui, des responsables, de Washington à Riyad, disent leur colère contre ces mêmes groupes qui mordent la main qui les a nourris.
C’est là le scénario devenu trop familier dans ces dernières années. Le « terrorisme » est un mot pratiquement vide de sens qui obscurcit et apporte de la confusion plus qu’il n’éclaire. Les attaques du 9/11 ont conduit à la « guerre totale contre le terrorisme » et, en même temps, à une vaste tentative de dissimulation de ceux qui en ont été réellement responsables.
(…) En avril 2003, Philip Zelikow, un Néoconservateur qui dirigeait la commission 9/11, a renvoyé Dana Leseman lorsqu’elle a prouvé de façon trop évidente les connections saoudiennes. Plus étrange encore, le chapitre 28 d’un rapport au Congrès traitant de la question de la complicité saoudienne. Il a été pratiquement supprimé. Malgré la promesse d’Obama faite à Kristen Bretweiser, veuve du 9/11, peu après son arrivée à la Maison Blanche, de s’assurer qu’il serait rendu public, il n’en a rien été.
Plutôt que d’identifier les responsables, Washington a préféré que le peuple américain reste dans le noir. Au lieu d’identifier les vrais coupables, l’administration Bush, soutenue par les Démocrates et la presse, a préféré tout mettre sur le dos de « malfaisants » venus d’ailleurs. C’est ce qui est arrivé, aussi, après le massacre de Charlie Hebdo en janvier dernier. En même temps que les milliers de « Je Suis Charlie », et les manifestations massives – où on a pu voir Benjamin Netanyahu, Nicolas Sarkozy et l’ambassadeur saoudien aux côtés du président français – étaient ignorés les rapports sur les aides saoudiennes à Al Qaeda dans la Péninsule arabique (AQAP), le groupe qui a entraîné Chérif Kouachi et, apparemment, financé son attaque.
Des rapports selon lesquels Ryad a, depuis, collaboré avec AQAP dans sa guerre contre les chiites Houthis au Yémen ont subi le même sort. Alors que les avions saoudiens de combat (vendus par la France) sèment la mort et la destruction au Yémen, Al Qaeda a pris le contrôle de la ville orientale de Mukalla, un site pétrolier et un port maritime qui compte une population de 300 000 habitants. Le groupe a, également, pris le contrôle de secteurs d’Aden, accumulant en chemin, un arsenal comprenant des dizaines de blindés et vingt-deux tanks, ainsi que des missiles et autres armes.
On aurait pu penser que tout cela aurait alerté Washington. Cela n’a provoqué qu’un haussement d’épaules. L’administration Obama continue de soutenir l’attaque saoudienne contre le pays le plus pauvre du Moyen Orient, avec un soutien technique et naval, tout comme la France, pressée de supplanter les États-Unis au premier rang de vendeur d’armes à la monarchie.
Le Président français, François Hollande soutient le royaume qui soutient les forces qui soutiennent ceux qui ont perpétré les massacres de Charlie Hebdo. Il soutient aussi la monarchie qui permet le financement d’ISIS, aujourd’hui identifié comme responsable de ces récentes atrocités.
Hollande préfère battre sa coulpe et lancer des appels vibrants à la « compassion et la solidarité » plutôt qu’agir réellement sur des relations qui responsables de telles attaques au premier chef.
Au cœur du problème, il y a le pétrole, l’argent et l’empire américain qui reste paralysé face au désastre qu’il a créé au Moyen Orient. Lorsqu’Obama a lancé son célèbre appel d’août 2011 à un changement de régime à Damas – « Dans l’intérêt du peuple syrien, le temps est venu pour le président Assad de partir » – cela devait être une promenade de santé.
L’insurrection prenait de l’ampleur, les Bassistes ne tenaient qu’à un fil, ce n’était qu’une question de temps, Assad allait subir le même sort que Kadhafi. « Nous sommes venus, nous avons vu et il est mort », avait croassé Hillary Clinton à propos de Kadhafi, et il semblait qu’Assad tomberait, lui aussi, aux mains de la foule rebelle.
Mais Assad s’est montré plus coriace, principalement parce qu’il s’appuyait sur un parti de masse, et, malgré la corruption et la sclérose, il jouissait d’un important soutien populaire. Et plus il a été capable de rester au pouvoir, plus les États-Unis se sont trouvé pris dans une guerre de plus en plus sectaire menée par les extrémistes financés par les Saoudiens.
Face à un choix entre Assad, d’un côté, et ISIS et Al Qaeda, de l’autre, Obama a hésité et tergiversé, refusant de s’engager de tout cœur pour la cause rebelle, mais échouant à s’opposer lorsque ses meilleurs amis finançaient les groupes que les autorités américaines considéraient comme des anathèmes.
Au lieu de vaincre ISIS, cette politique du ni oui-ni non lui a permis d’envenimer la situation et de se développer. Le groupe est plus riche que jamais, ses soldats se baladent en pickup Toyota et ses prouesses techniques font des progrès constants. Il y a deux semaines, ils ont apparemment abattu un avion de ligne russe dans le Sinaï. La semaine dernière, c’était deux attentats suicides dans la banlieue chiite de Beyrouth, tuant 43 personnes et en blessant plus de deux cents.
Aujourd’hui selon les autorités françaises, ISIS a envoyé une équipe d’au moins huit activistes tirer dans divers endroits de Paris. L’un des attaquants aurait crié « Ce que vous faites en Syrie, vous le payez, aujourd’hui. » Tel est le spectacle d’horreur mis en scène à Washington, Ryad et à l’Élysée.
Alors que faire ? Ces événements sont un cadeau du ciel pour Marine Le Pen, qui va, sans aucun doute, les utiliser pour alimenter la xénophobie de masse qui alimente les votes pour le Front National. C’est aussi un os à ronger pour les innombrables politiciens d’Europe de l’est, de Viktor Orban en Hongrie au Premier ministre slovaque, Robert Fico, qui bénéficient aussi de la ferveur anti-immigrants qui se développe.
En Pologne, où le président Andrzej Duda a dénoncé les quotas de réfugiés de l’Union européenne et où 25000 manifestants d’extrême-droite ont récemment défilé à travers Varsovie appelant une « Pologne aux Polonais », les nationalistes se frottent, également, les mains.
Pendant des semaines, les sites d’extrême droite et d’information ont averti qu’ISIS/IS utilisait la vague de réfugiés pour infiltrer des combattants en Europe, et, aujourd’hui, ils peuvent utiliser le massacre du Bataclan pour dire qu’ils avaient raison.
Pour les gens de la rue, c’est un argument irréfutable. Et c’est pourquoi il est important de souligner le rôle des gouvernements occidentaux dans cette débâcle. Après avoir détruit un État islamique après l’autre, les dirigeants occidentaux peuvent difficilement être surpris que la violence surgisse dans leur propre pays. (…) Plus les États-Unis et leurs alliés imposeront le « changement de régime » et la terreur de masse au Moyen Orient, plus le nombre de réfugiés cherchant à s’enfuir augmentera. Peu importe les barrières érigées en Europe, ils trouveront le moyen de les contourner.
L’Arabie saoudite a quadruplé ses achats d’armement au cours de ces dernières années, tandis que le Conseil de coopération du Golfe (six membres) est devenu le troisième plus grand acheteur au monde. C’est une formidable nouvelle pour les industries de l’armement occidentales et pour les gouvernants qui cherche à augmenter leur Produit national brut (PNB), mais ça l’est beaucoup moins pour les peuples du Yémen, de Syrie, du Liban et de Paris qui, aujourd’hui, se trouvent à l’autre bout de la chaine. Plus l’alliance occidentale et ses alliés du Golfe sèmeront le chao au Moyen Orient, plus la xénophobie et l’extrême droite seront renforcées en Europe et aux États-Unis.
(Daniel Lazare est un auteur politique américain, notamment sur le déclin de la démocratie américaine)
(Traduction Afrique Asie)