La propension du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan, originaire de Turquie) à se sentir partout chez lui irritait déjà pas mal de Kurdes en Irak. Mais la colère est en train de gagner l’Iran, où un clash avec les peshmergas du PDKI aurait fait trois morts et vingt blessés dimanche matin selon le PDKI, le PKK refusant d’après lui le droit aux Kurdes locaux de déployer leurs forces dans leurs propres montagnes. Le PKK donne une tout autre version sur les raisons de la dégradation de la situation comme sur le bilan des victimes.
Les tensions entre Kurdes iraniens et turcs résultent indirectement des manifestations qui ont suivi le suicide d’une jeune femme de 26 ans qui voulait échapper à une tentative de viol, il y a quelques semaines à Mahabad. A l’issue de ces manifestations violemment réprimées par le régime iranien, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI toujours officiellement interdit en Iran) aurait en effet décidé de reprendre le maquis. Objectif: adresser un avertissement à Téhéran en retournant dans ses anciennes bases, dans les régions montagneuses de Kelieshin, entre Kurdistan iranien et Kurdistan irakien. Seulement, les peshmergas du PDKI ont trouvé là des opposants auxquels ils ne s’attendaient pas: les guérilleros du PKK qui ont fait de la montagne voisine de Qandil leur base arrière, pour mieux s’opposer à… Ankara.
Le PKK affirme alors que la zone est sous son contrôle, que personne d’autre que ses hommes ne peut se déplacer de part et d’autre de la frontière. Les dirigeants kurdes iraniens répondent qu’ils ne partiront pas, mais tentent toutefois d’apaiser les choses. « Nous leur avons envoyé une lettre officielle, leur demandant de calmer la situation, mais ils n’ont pas répondu », certifie Muhammad Salih Qadiri, membre du bureau politique du PDKI.
Quoi qu’il en soit, après deux semaines de tension, un affrontement a éclaté ce matin entre les branches armées du PKK et PDKI, à la frontière Iran-Irak. Bilan: deux combattants du PDKI tués en début de matinée. Bilan qui s’est aggravé depuis. “Tôt ce matin, le PKK a attaqué nos peshmergas et malheureusement, ce que nous redoutions est arrivé” a annoncé Muhammad Salih Qadiri. Les clash ont eu lieu dans les villages de Kelashin, Khenela et Saqar, côté Kurdistan iranien donc.
Le Secrétaire général adjoint du PDKI, Mustafa Mawloudi, a réagi très vite ce matin: “Nous condamnons toute tension entre les partis politiques kurdes; mais les forces du PDK-Iran n’ont pas violé les règles ”. Pour l’heure, il reste dans une volonté d’apaisement: “Le PKK estime qu’aucun autre parti politique est autorisé à rester ou à se déplacer à travers la région, car elle est sous son autorité depuis des années. Mais nos forces ne cherchent pas à créer des tensions avec le PKK. Nous tentons d’éviter de nouvelles escalades à travers nos représentants sur place parce que nous croyons profondément que les forces kurdes ne doivent jamais se battre les unes contre les autres.”
Membre du Politburo du Parti Komala du Kurdistan iranien, Anwar Muhammadi est sensiblement sur la même position: “Les affrontements se déroulent dans une zone qui est dans le territoire du Kurdistan iranien, dans lequel le PDKI et chaque parti iranien a le droit de se déplacer. Le PKK ferait mieux de se concentrer sur le Kurdistan turc et de ne pas intervenir dans les activités des autres forces kurdes. Nous avons entamé des procédures diplomatiques pour arrêter les conflits.”
Kurdes iraniens et turcs ont tout intérêt en effet à calmer les choses entre eux, car le gouvernement iranien a profité des affrontements pour envoyer des renforts à sa frontière avec la région autonome du Kurdistan irakien, officiellement pour séparer les belligérants et ramener la paix. Comprenez, pour éliminer les résistants kurdes quels qu’ils soient.
Pour l’heure, les combats se poursuivent avec des armes relativement lourdes utilisées des deux côtés: BKC, DShK et lance roquettes RPG…
Quant aux guérilleros du PKK, ils ont installé un certain nombre de points de contrôle à proximité des affrontements pour empêcher le mouvement par les villageois autour de la zone.
En fin de matinée, le PDKI a publié un communiqué confirmant l’attaque du PKK. Il a aussi indiqué que combats avaient causé jusqu’ici la mort de trois peshmergas et fait et jusqu’à vingt blessés. Le PDKI a en outre accusé le PKK de collusion avec les autorités iraniennes pour empêcher les partis d’opposition kurdes iraniens d’opérer dans la région.
Le PDKIest un parti kurde iranien qui lutte pour les droits des Kurdes en Iran depuis des décennies. Le groupe est établi dans la région du Kurdistan d’Irak depuis plus de 30 ans.
Le PKK est une organisation kurde (à l’origine marxiste) basée en Turquie, mais qui est très active dans les zones frontalières iraniennes depuis de nombreuses années. Le groupe est classé par les Etats-Unis et l’Europe dans la liste des organisations terroristes depuis les années 1990, à la demande d’Ankara. Liste dont il pourrait sortir à la faveur de son engagement contre Daesh, l’Etat islamique autoproclamé.
L’AVERTISSEMENT DU KCK ET DU PKK
Déclaration du KCK (organisation politique émanant du PKK) à propos des affrontements entre combattants PDK-I et PKK. Pour résumer: Il y a de nombreuses semaines, nous avons permis au PDK-I d’opérer dans la zone où nos combattants sont déployés. Initialement, le PDK-I nous a dit qu’il voulait uniquement traverser cette zone en vue de soutenir les Kurdes de Rojhilat (Iran), autorisation que nous avons accordée. Mais il s’est avéré qu’ils avaient des arrière-pensées. Ils ont commencé à menacer les villageois dans le secteur et ont introduit des bureaux de douane à la frontière en demandant de l’argent aux contrebandiers kurdes. Puis, ils ont commencé à construire leur propre base sous notre nez, même si il y a suffisamment de zones alternatives dans les montagnes abruptes. Nous avons dialogué avec eux pendant deux semaines pour qu’ils quittent la zone, mais ils ont rejeté la proposition. Il est avéré qu’ils ont de très mauvaises intentions à l’esprit depuis que les médias du KRG ont commencé à amplifier ce conflit. Le PDKI n’agit pas de son propre chef. Il y a des forces obscures derrière ce déploiement de très mauvais augure, ce que nous ne pourrons jamais accepter. S’ils veulent vraiment lutter contre l’Iran, ils sont invités à rejoindre le PJAK (parti pour une vie libre au Kurdistan). Le PKK ne retournera jamais une arme contre les Kurdes. Les nouvelles sur la mort de deux peshmergas PDK-I n’est toujours pas encore confirmée.
Au sujet des affrontements avec le PDKI, Damhat Agid, le chef des relations extérieures du PKK, parle d’un “avertissement” mais précise lui aussi: ‘nous ne disposons pas de rapports confirmés de victimes”. Peu après sa déclaration, le chiffre de un mort et un blessé a circulé sur les réseaux sociaux favorables au PKK… sans qu’il soit possible de vérifier l’information, que les chiffres émanent du PKK ou du PDKI.
LE COMMUNIQUÉ DU KCK FAIT ÉTAT DE 1 MORT ET 1 BLESSÉ
Ce nouveau communiqué donne une version différente du PDKI. Cette fois, il semblerait que des peshmergas et des combattants du PKK soient tombés nez à nez. Les peshmergas auraient tiré en l’air, ce qui aurait poussé le PKK à répliquer. La bataille n’aurait pas duré plus de 30 minutes… jusqu’à ce que des messages des supérieurs arrivent des deux côtés et intiment l’ordre d’arrêter le combat. Le PKK parle de un mort et un blessé, côté peshmerga, qui a été amené par le PKK pour être soigné dans un hôpital sous sa protection.
A priori, le groupe de 60 peshmergas aurait accepté de quitter les lieux. Tout semble être revenu dans l’ordre… jusqu’à plus amples informations.
LA RÉPONSE DU PDKI SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ET SON SITE
Message sur Facebook: “Qader Karimi, qui a été tué par le PKK, a été enterré aujourd’hui (NDLR: lundi 25 mai). Les larmes de son père, des enfants et de sa femme nous brisent le cœur. Il a été inhumé dans le cimetière des martyrs Peshmergas.”
En outre, Loghman H. Ahmedi, le responsable des relations extérieures du PDKI a publié un communiqué le 25 mai pour démentir les « nombreuses fausses déclarations (du PKK) au sujet de cette agression injustifiée”. Afin de clarifier ce qui est arrivé Loghman H. Ahmedi, responsable des relations étrangères du PDKI, a publié une déclaration qui décrit les événements qui ont conduit à l’attaque injustifiée par les combattants du PKK.
1- En ce qui concerne l’affirmation du PKK qu’il y avait une sorte de conspiration par différents médias contre le PKK: “il est vraiment inquiétant de constater que le PKK a tenté de nier que l’attaque avait même eu lieu en premier lieu en alléguant qu’il s’agissait d’un complot contre le HDP. Le PKK sait très bien que PDKI a toujours soutenu le processus démocratique dans le nord du [la Turquie] Kurdistan et le fait qu’ils ont utilisé ce prétexte pour prétendre qu’ils n’avaient pas attaqué nos forces Peshmergas pourrait en soi être interprétée comme une conspiration ”.
2- Il est clair que la région dans laquelle l’attaque a eu lieu a été une base pour nos forces Peshmergas au cours des dernières décennies, longtemps avant que le PKK a été créé.
3- L’allégation du PKK selon laquelle nos forces peshmergas avaient extorqué de l’argent aux pauvres est à la fois honteuse et ridicule, surtout compte tenu du fait que les membres du PKK ont été mis en cause dans les pays européens pour cette charge spécifique.
4- Le PKK a menacé nos forces Peshmergas à de nombreuses reprises, mais notre leadership a ordonné aux Peshmergas d’éviter les combattants du PKK et de ne pas engager le combat avec eux. Il y a quelques jours une grande force PKK a assiégé une de nos bases de fonctionnement et n’a pas laissé nos Peshmergas se déplacer librement . Notre parti a fait tous les efforts possibles pour parvenir à une solution pacifique face à la situation, mais le PKK soit n’a pas répondu à nos demandes, soit a émis de nouvelles menaces. Notre parti a évité de discuter publiquement de la situation jusqu’à ce que nous sentions qu’une attaque était imminente. Malheureusement, hier matin (NDLR: dimanche), les combattants du PKK ont attaqué un de nos pelotons peshmergas “.
5- Selon la déclaration du PKK, il y avait au moins 80-90 peshmergas PDKI dans ce lieu précis, et certains de nos Peshmergas ont prétendument tenté de les attaquer par derrière, mais le résultat de l’ouverture du feu a été que l’un de nos Peshmergas a été tué et trois ont été blessés alors qu’il n’y a pas un seul combattant du PKK qui a été blessé ou tué. Leur description de l’événement est une fabrication totale de ce qui est réellement arrivé. La réalité est qu’ils ont assiégé notre base et pris en embuscade nos forces Peshmergas à un moment où nos commandants peshmergas pensaient qu’ils pouvaient toujours résoudre le problème pacifiquement.
6- “En outre, nos forces Peshmergas ont appréhendé plusieurs combattants du PKK après l’attaque et après que d’autres Peshmergas sont venus à l’aide de la base assiégée. Non seulement nos Peshmergas ont libéré les combattants du PKK, mais nous leur avons même rendu leurs armes. Cela devrait être une indication claire que nous n’avions pas l’intention de nous livrer à toute forme de conflit avec le PKK et que nous espérons toujours que nous pourrons parvenir à une solution pacifique dans le cas présent. Cependant, il devrait être clair, que nous ne retirerons pas nos forces Peshmergas et qu’elles se défendront en cas de toute action hostile », a conclu Loghman H. Ahmedi.
Sources : articles en anglais
KDPI responds to PKK siege: We won’t leave Kurdistan mountains, publié par BasNews.
Two dead in PKK-KDPI clash on Iranian border, publié par Rudaw.
Escalation of fighting between PKK and KDPI, article publié par BasNews.
Clashes between PKK and KDPI continue; heavy machine guns used, publié par BasNews.
Two dead in clashes between armed kurdish groups, publié par NRT TV.
KCK Statement regarding clashes between PDK-I and fighters, résumé en anglais paru sur Facebook.
PKK Official: Clashes are warning to KDPI, article publié par BasNews.
Ahmedi clarifies the events that led to the PKK attacking PDKI Peshmergas, publié sur le site du PDKI le 25 mai.
KDPI, PKK describe battle on Iran-Iraq border : interview vidéo des peshmergas qui ont été pris à partie par le PKK : 2′30″. Par Rudaw. En kurde, sous-titré en anglais.
Source : https://lephenixkurde.tumblr.com/post/119756684852/kurdistan-iranien-polemique-autour-des-combats
Source : Rojbas, une plateforme regroupant l’information sur le problème kurde
Légende : Les peshmergas du PDKI entendent rester maîtres chez eux. / Photo NRT