En 2011, alors que la CPI lançait, en pleine « révolution » libyenne, un même mandat d’arrêt contre Muammar Kadhafi, Jean Ping, alors président de l’UA, n’avait pas, non plus, mâché ses mots. « On a l’impression que la Cour pénale internationale ne vise que les Africains. Cela signifie-t-il que rien ne se passe par exemple au Pakistan, en Afghanistan, à Gaza, en Tchétchénie ? Ce n’est pas seulement en Afrique qu’il a des problèmes. Alors pourquoi n’y a-t-il que des Africains qui sont jugés par cette cour ? »
Alors qu’il faisait l’objet d’une assignation par la justice sud-africaine à ne pas quitter le territoire avant la décision de la Haute Cour de Pretoria réunie lundi 15 juin, le président soudanais Omar al-Bachir s’est envolé vers le Soudan, ce même jour, dans l’après-midi. Il était venu en Afrique du Sud pour assister au 25ème sommet de l’Union africaine, sous immunité accordée par le président Zuma., bien qu’il fasse toujours l’objet d’un mandat d’arrêt international, accusé, en 2008 par le Procureur de la Cour pénale international Luis Moreno Ocampo, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le conflit du Darfour qui, selon l’ONU, aurait fait 300 000 morts.
Dès son arrivée à Pretoria, Omar al-Bachir a fait l’objet, d’une requête déposée par le Southern Africa Litigation Centre (Centre de contentieux pour l’Afrique australe). Bien que l’Afrique du Sud soit signataire du traité constitutif de la CPI et donc, obligée d’appliquer ses mandats d’arrestation, l’ANC a accusé, dimanche 14 juin, la cour internationale de La Haye d’être hostile aux Africains et estimé qu’elle « n’était plus utile ». Ce même jour, le juge Hans Fabricius avait interdit al-Bachir de sortie du territoire et demandé au gouvernement d’informer tous les aéroports et autres de ne pas le laisser partir. C’est le ministre d’État soudanais, Yasser Youssef, qui a annoncé via l’agence de presse Reuter, que le président soudanais avait quitté le territoire sud-africain dans l’après-midi dans un avion soudanais qui aurait décollé de la base des Forces aériennes de Waterkloof.
La Haute Cour de Pretoria a exigé du gouvernement des explications sur ce qu’elle considère comme une « évasion » et d’être informée de tous les détails de sa fuite. Le président du tribunal, le juge Dunstan Mlambo, a informé le conseiller juridique du gouvernement, William Mokhari que les trois juges concernés pensaient que les autorités sud-africaines auraient dû arrêter le président soudanais. « Ce tribunal déclare que l’attitude du gouvernement, dans la mesure où il n’a pas décidé d’arrêter et d’incarcérer le président du Soudan Omar Hassan al-Bachir a violé les principes de la Constitution de la République sud-africaine et est invalide », a déclaré Dunstan Mlambo au nom de la Haute Cour.
La décision du gouvernement sud-africain de laisser partir le président soudanais et l’aide qui lui a été apportée à cet effet n’ont, bien sûr, pas été appréciés par les États-Unis et l’ONU. « Le mandat d’arrêt international du Tribunal pénal international à l’encontre du président al-Bachir pour crime de guerre et contre l’humanité est une question que je prends extrêmement au sérieux. L’autorité de la CPI doit être respectée et ses décisions exécutées », a déclaré le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon. Ce n’est, cependant, pas l’avis d’un grand nombre de pays africains qui estiment que la CPI pratique une « sorte de chasse raciale » à l’encontre des Africains, comme l’avait déclaré Hailemariam Desalegn, le président éthiopien et président de l’UA en 2013, à la tribune du sommet des chefs d’État de l’organisation, faisant référence à l’acharnement de La Haye contre le président kenyan Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto. En 2011, alors que la CPI lançait, en pleine « révolution » libyenne, un même mandat d’arrêt contre Muammar Kadhafi, Jean Ping, alors président de l’UA, n’avait pas, non plus, mâché ses mots. « On a l’impression que la Cour pénale internationale ne vise que les Africains. Cela signifie-t-il que rien ne se passe par exemple au Pakistan, en Afghanistan, à Gaza, en Tchétchénie ? Ce n’est pas seulement en Afrique qu’il a des problèmes. Alors pourquoi n’y a-t-il que des Africains qui sont jugés par cette cour ? »
Certaines puissances passibles de la CPI, bénéficient d’une totale impunité de fait. Les États-Unis qui ont accumulé les crimes de guerre et contre l’humanité au cours de ces cinquante dernières années, la Russie, la Chine, l’Inde et Israël, entre autres, n’ont toujours pas signé le traité fondateur. Les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU peuvent, en outre, s’opposer à toute tentative d’envoyer l’un de leurs ressortissants à La Haye en exerçant leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
En favorisant la fuite d’Omar al-Bachir, le gouvernement sud-africain a, certes, violé les règles de la CPI et la Constitution sud-africaine, mais il sera, sans aucun doute, soutenu dans ce choix politique à haut risque diplomatique, par la majorité des États africains et l’UA. Peut-être provoquera-t-il, également, l’ouverture d’un vrai débat sur cette juridiction internationale contestée pour sa partialité et son mode de fonctionnement, depuis sa création.