En juillet 2014, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye avait condamné la Russie à verser une indemnité de 50 milliards de dollars (38 milliards d’euros) aux « actionnaires lésés » de Ioukos, la compagnie pétrolière de l’oligarche Mikhaïl Khodorkovski, nationalisée en 2004. Moscou, contestant le bien-fondé de la condamnation, a exclu tout dédommagement. Le contentieux s’est envenimé le 19 juin, avec la décision de la France et de la Belgique de geler les actifs du gouvernement russe. Cela a immédiatement provoqué la réaction de Moscou, qui a menacé de « mesures de rétorsion ». Cette dernière crispation, après les sanctions décrétées contre la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne, a suscité la colère des milieux d’affaires occidentaux ayant des intérêts en Russie et de ceux participant, à ce moment-là, au Forum économique de Saint-Pétersbourg.
Or, personne, y compris dans les médias, ne semble se soucier des conditions dans lesquelles Mikhaïl Khodorkovski devenu un opposant politique et condamné à une peine de neuf ans pour fraude fiscale, avant d’être libéré en 2013, avait pris la tête de Ioukos.
En 1995, au milieu de la vague de privatisations des biens de l’État russe par ventes aux enchères, Khodorkovski rachète le groupe Ioukos pour (seulement) 360 millions de dollars lors d’une vente critiquée : les deux seuls acheteurs autorisés par le pouvoir de Boris Eltsine à participer aux enchères sont des compagnies détenues à 51 % par la Menatep, banque alors dirigée par Khodorkovski. En 2003, le gouvernement russe gèle 44 % des actions de la compagnie pour éviter la vente par un groupe d’actionnaires menés par Khodorkovski. À l’époque, Ioukos investit massivement dans des entreprises étrangères afin de se protéger légalement contre toute nationalisation.
En 2004, le fisc russe lui réclame un arriéré d’impôts équivalent à plus de 3 milliards de dollars américains. Faute de paiement, les biens de l’entreprise sont en partie saisis. Ioukos, qui a racheté une entreprise américaine, a pu se déclarer en faillite et se placer sous la protection de la loi américaine. C’est avec un tel background, qu’en 2014, la Cour permanente d’arbitrage condamne l’État russe à payer l’amende aux actionnaires de Ioukos (qui demandaient 81 milliards) pour les indemniser de la nationalisation !
Également sollicitée, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Russie à une amende de 1,9 milliard d’euros, soit un montant largement inférieur à celui demandé par les actionnaires. Deux lectures fort différentes du contentieux et de ses implications internationales. En l’espèce, la potentielle mainmise américaine sur une compagnie russe qui produisait, en 2004, 20 % du total de la production du pays et 2 % de la production mondiale de pétrole.