Septembre 2010, quatre membres du bureau de la Fédération zambienne de football (Faz) démissionnent parce qu’ils rejettent la gestion autoritaire du président Kalusha Bwalya, l’ancienne gloire locale, en poste depuis 2008. Dans la foulée, le Sports Concil of Zambia, diligente une enquête sur le fonctionnement de la Faz. K. Bwalya, désavoué par les grands clubs du pays, crie au complot et appelle à la rescousse la Fifa. Ses opposants élisent, à titre provisoire, un nouveau comité directeur. La Fifa dénonce l’ingérence gouvernementale, menace de suspendre la Faz et ordonne le maintien à son poste du président désavoué.
Deux mois plus tard, c’est au tour de la Ghana Football Association (GFA) d’entrer en zone de turbulence. Le ministre des Sports ghanéen Akua Sena Dansua demande au président de la GFA, Kwesi Nyantaki de retirer sa candidature aux élections du Comité exécutif de la Caf * et de présenter celle de la star des années 1990, le célèbre Abedi Pelé. Kwesi Nyantakyi refuse. Et il en appelle à la Fifa qui brandit l’article 17, alinéa 13 de ses statuts qui interdit, sous peine de sanctions, toute ingérence du pouvoir politique dans les affaires d’une association nationale. Le gouvernement d’Accra charge la Division des délits et crimes économiques d’enquêter sur la gestion de la GFA. Une perquisition est même effectuée au siège de la Fédération. La Fifa avertit : « L’autorité publique a le droit de procéder à un audit uniquement sur les subventions qu’elle a accordées à la GFA. Elle n’est pas concernée par l’assistance financière fournie par la Fifa. »
Et de lancer un ultimatum au ministre Akua Sena qui fait marche arrière. Le 23 février, Kwesi Nyantakyi (ainsi d’ailleurs que Kalusha Bwalya) est élu au CE de la Caf !
Au Bénin voisin, la Fédération locale (FBF) est déstabilisée par la démission, le 15 décembre, de douze de ses membres qui désavouent le président en exercice Anjorin Moucharafou, un affidé d’Issa Hayatou. Ils convoquent une assemblée générale qui élit un nouveau bureau. L’accès des locaux de la FBF est interdit à Anjorin Moucharafou qui, bien entendu, sollicite le soutien de la Fifa. Celle-ci menace de suspension le Bénin si le président contesté ne réintègre pas son bureau. Ce sera chose faite le 2 février. Une assemblée générale est prévue mi-avril.
Ces trois affaires interrogent sur le sens et la portée de la non-ingérence que s’emploie à garantir la Fifa en vertu de ses statuts et sur le degré d’indépendance des fédérations nationales dont le fonctionnement est lié au soutien de leurs États.
Les avertissements et les menaces de la Fifa sont dictés par le principe – statutaire – d’indépendance des fédérations nationales affiliées. L’indépendance porte sur le mode de désignation des organes représentant l’association membre (président, bureau fédéral, assemblée générale), désignations qui ne doivent procéder que de la volonté exclusive des instances du football. Autrement dit, le football n’appartient qu’à lui-même, c’est-à-dire à ceux qui ont mission de l’organiser et de le faire fonctionner.
En clair, la Fifa reconnaît la souveraineté des États et leurs lois mais, de par ses statuts, elle a pour mission de gérer un sport dont l’organisation, au plan national, relève de la compétence de fédérations autonomes. C’est également ce qui explique la sévérité des sanctions encourues en cas de transgression : la suspension immédiate de toute participation aux compétitions de football pour les équipes relevant de la fédération nationale qui en est l’objet, voire, définitivement, son exclusion comme membre de la Fifa.
Il est évident que le football est souvent l’objet de convoitise de la part des États dont les gouvernements sont toujours tentés d’en exploiter les retombées démagogiques. Il n’est pas rare qu’arguant des moyens matériels et financiers qu’elles accordent à la fédération nationale pour assurer son fonctionnement, les autorités publiques fassent pression pour que soient placés à sa tête les dirigeants qu’ils ont choisis ou au contraire destituent eu poussent à la démission, voire limogent (surtout suite à un échec de l’équipe nationale) ceux qui leur déplaisent.
C’est sans conteste, le continent africain qui détient la palme des suspensions des fédérations nationales pour motif d’ingérence. Depuis 2010, plus de 25 d’entre elles ont été suspendues ou menacées de l’être. Dans le bras de fer entre les gouvernements et la Fifa, c’est cette dernière qui a souvent le dernier mot. En effet, la popularité du football est telle aujourd’hui que les États redoutent la « mort sportive » à laquelle conduirait une suspension édictée par la Fifa qui dispose d’une arme non moins redoutable : sa puissance financière (Programme d’aide financière et Projet Goal). Ainsi, les statuts d’une association de droit suisse, comme l’est juridiquement la Fifa, s’imposent à la législation d’un État souverain !
Pourtant comme le reconnaît Issa Hayatou, président de la Caf et vice-président de la Fifa : « Sans volonté politique, il n’y aurait pas de football dans le continent. Sans l’argent de nos États, notre football ne peut pas vivre. Les fédérations doivent en tenir compte. » Concrètement, l’intervention des États dans l’organisation des fédérations sportives n’est pas pour autant interdite. Pour la Fifa, ceux-ci ont pour mission de développer la pratique du football, de construire et d’entretenir des stades et d’y assurer la sécurité. Mais elle estime qu’un ministre des Sports n’est pas en droit de gérer au quotidien une association ou une équipe nationale. Qu’il existe a priori ou a posteriori un contrôle sur l’utilisation des subventions publiques accordées aux fédérations, soit, mais celles-ci doivent jouir d’une pleine autonomie de gestion.
De fait, la liberté dont disposent les fédérations est étroitement encadrée. Pour prétendre à l’agrément délivré par le ministère des Sports, agrément nécessaire pour bénéficier des aides de l’État, les fédérations sportives doivent insérer dans leurs statuts des dispositions obligatoires édictées par décret. L’État exerçant sur elles sa tutelle, leur fonctionnement est placé sous le contrôle des autorités et des services étatiques. Pour l’État, les obligations qu’il impose ne sont pas synonymes d’ingérence dans les affaires internes de la fédération mais, au contraire, garantie de son autonomie !
Les situations de crise et les conflits pourraient être évités si, au départ, avaient été, juridiquement et concrètement, établies les règles d’une collaboration étroite et d’un code de conduite entre l’autorité de tutelle et l’instance fédérale. Toute étanchéité entre les domaines sportif et politique est une vue de l’esprit tant les moyens publics consacrés au sport et la résonance des résultats sportifs ne sauraient laisser indifférent tout pouvoir politique.
* Voir Afrique Asie de février 2011